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« Sous le voile des apparences l'univers féminin est en pleine ébullition » commente Delphine Minoui, auteure de « Les Pintades de Téhéran ».

Et si le port de ce signe convictionnel se révélait autre qu'un signe de soumission à l'autorité patriarcale ? Et s'il n'existait pas un mais des voiles ? Et si nous regardions le foulard sous un angle différent, celui d'une prise de pouvoir plutôt qu'un désir de soumission ?


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« Il y a plein de pintades sous les tchadors. [...] il y a une vie trépidante, féminine et féministe, derrière les portes. [...] À Téhéran, les femmes portent souvent le voile fleuri et transparent, agrémenté de mèches folles peroxydées. » Extrait de l'avant-propos « Les Pintades de Téhéran ».

D'un à des voiles

En 2014, le Pew Research Center, de l'Université du Michigan décidait de lancer une enquête auprès d'hommes et de femmes de 7 pays du Moyen-Orient autour du rapport à la religion islamique. Les chercheurs désiraient montrer l'hétérogénéité des comportements et des normes répondant de la religion musulmane. Ils désiraient également comparer les perceptions des citoyens sur des questions comme l'égalité femmes/hommes, la laïcité, les libertés individuelles, l'identité nationale et les libertés religieuses[1]. Les sondées et sondés devaient notamment répondre à la question suivante : « Laquelle de ces femmes porte les vêtements les plus appropriés pour circuler dans l'espace public ? ». Les styles proposés allaient du voile intégral (burqa et niqab), au voile plus léger (tchador, hijab), à l'absence de voile. Un tableau assez explicite reprend les réponses des répondant-e-s :

L'Arabie saoudite, sans surprise, s'illustre comme le pays le plus conservateur par rapport au style vestimentaire des femmes (ce qui fait dire aux chercheurs que le développement économique n'entraîne pas spécialement une plus grande liberté pour les femmes). À l'autre bout du spectre, les citoyens libanais penchent vers la position « non voilée » pour circuler dans l'espace public. Les citoyens turcs oscillent entre hijab et absence de voile. Dans la majorité des pays, les personnes sondées considèrent le hijab comme habillement approprié pour les femmes. On comprend que la réalité des femmes musulmanes sur ces territoires est bien loin des images véhiculées par les partis d'extrême droite en Europe, montrant des femmes aux visages complètement couverts ou grillagés. Partis qui, par ces images, tentent de diffuser une image extrêmement simpliste de « la » femme musulmane « soumise » et ainsi limiter l'immigration.

Cette étude comparative ouvre aux diverses façons de porter « le » voile. « Le » voile qui, on le voit, est loin de référer à un style d'habillement homogène. Il convient alors de penser « les » voiles islamiques et non « le » voile. De plus, si cette étude montre les préférences nationales, il est évident que les variations au sein d'une même population sont nombreuses, certaines femmes préférant un foulard plus strict, d'autres plus lâche, les unes préférant les teintes plus foncées, d'autres plus colorées, etc. Une première nécessité face à la question « du voile » serait, nous semble-t-il, de parler « des voiles », voire « des questions des voiles ».

Et si, toujours pour ouvrir les perspectives, nous pensions à ces voiles, non pas comme signes de soumission, mais bien comme outils d'émancipation ? Le cas de l'Iran permet d'entamer cette réflexion.

Iran : les voiles qui émancipent

Si déjà au début du 20ème siècle des femmes égyptiennes s'insurgeaient contre les interprétations sexistes des textes islamiques, d'après notamment Malika Hamidi, nombre de féministes musulmanes, considèrent l'Iran comme le berceau du mouvement d'émancipation des femmes en Islam. En effet, au lieu d'enfermer les femmes dans des rôles traditionnels, la révolution islamique de 1979, tout en amenant une restriction des droits des femmes, a paradoxalement et dans un second temps, permis la création d'un climat favorable à l'émergence d'un mouvement urbain d'émancipation féminine. Delphine Minoui confirme : « Paradoxe : en favorisant l'urbanisation et en scolarisant massivement les femmes, les religieux au pouvoir depuis 1979 ont finalement donné, eux-mêmes, naissance à leurs délatrices »[2].

Cette révolution imposait aux femmes de sortir couvertes d'un foulard. Cependant, couvertes, ces femmes ont revendiqué l'accès aux espaces publics et aux établissements d'enseignement, dont l'université. Couvertes, elles jugent la séparation entre hommes et femmes anormale et se servent du voile comme porte d'accès aux sphères précédemment réservées aux hommes. Par la suite, ayant accès à l'enseignement supérieur, ces femmes iraniennes deviennent de plus en plus conscientes des inégalités de genre et revendiquent les droits sociaux et politiques égaux à ceux des hommes.

Néanmoins, ces différents mouvements et contestations en faveur de plus d'égalité entre hommes et femmes se heurtent à une hostilité du pouvoir politique en place, réfractaire à toute avancée juridique en ce sens.

Aujourd'hui en Iran, la majorité des diplômés sont des diplômées, plus de la moitié des étudiant-e-s sortant des hautes études sont des femmes. En 2014, l'admission universitaire féminine en Iran représentait 59.9% des étudiants. Avec un processus d'individualisation en cours depuis les années 1990, la quête d'une identité sociale est devenue un élément moteur pour nombre de femmes à travers le pays. La valorisation de soi à travers la réalisation d'études est devenue un nouveau marqueur poussant les étudiantes à faire des études de plus en plus poussées. Cependant, cet accroissement du nombre de diplômées ne s'est pas accompagné d'un taux d'emploi plus élevé des femmes dans la société iranienne. Sur le marché de l'emploi, la grosse majorité des travailleurs restent des hommes. Ceci entraîne une réelle fracture sociale entre des femmes majoritairement diplômées, sans emploi et des hommes actifs sur le marché du travail.

À cette fracture sociale s'ajoute une transition géographique : le nombre croissant de femmes célibataires, devenues « vieilles filles », bouscule le modèle familial traditionnel. Détachées de liens familiaux, ces femmes créent leurs propres réseaux de solidarité en se liant les unes aux autres. Ces réseaux facilitent la militance notamment, même si cela reste anecdotique par rapport à d'autres enjeux, via l'utilisation de la géolocalisation qui permet de faire apparaître sur la toile les lieux où sévit la brigade des mœurs. Delphine Minoui témoigne : les femmes iraniennes se sont adaptées aux règles de la République islamique tout en les combattant avec de « petites armes » comme « un SMS envoyé aux batchéchâ – terme fraternel pour évoquer « les amies », les « potes » - pour les informer d'un meeting, d'une pétition qui circule, d'une expo interdite »[3]. La communication entre femmes leur permet d'échapper à la sanction, par exemple, lorsqu'elles ne portent pas le voile[4] et de construire leur mouvement d'émancipation. Delphine Minoui enchaîne : « Vous les imaginez aux fourneaux ? Allez-vous rhabiller. Dans un pays jeune, où 70% de la population a moins de 30 ans, elles sont aujourd'hui à la pointe de la contestation. Elles transcendent au quotidien l'austérité imposée par les mollahs ultra-conservateurs. »[5]

L'anthropologue Ziba Mir-Hosseivi illustre aujourd'hui l'une des figures importantes de cette réflexion en dénonçant depuis les années 1980 l'instrumentalisation de la religion par le pouvoir politique afin d'asservir les femmes. Cela n'est pourtant nullement évoqué dans les textes sacrés. Son combat pour avoir le droit de divorcer fut le déclencheur de son engagement féministe. Elle obtint d'ailleurs gain de cause et réalisa par la suite un documentaire, « Divorce Iranien Style », autour des freins au divorce en Iran et des inégalités de genre en la matière.

On le voit, les voiles des femmes iraniennes ont été réappropriés par les femmes dans un mouvement de libération féminine. Par le port des voiles, les femmes ont gagné l'accès aux mêmes espaces que leurs concitoyens masculins, même si leur présence au sein des institutions publiques reste toujours marginale. Aujourd'hui, pour les chefs religieux, le port d'un voile est toujours obligatoire mais de plus en plus de femmes le contestent et/ou se l'approprient en se parant de voiles colorés ou en le portant de façon plus lâche, laissant entrevoir quelques mèches de cheveux. Au lieu d'uniformiser et d'effacer la féminité des femmes, certaines en font un outil de différenciation, d'affirmation individuelle et de séduction : « vaporeuses, un soupçon allumeuses – si si, même sous leur foulard »[6].

Féminisme en Islam, entre international et local

Si le contexte iranien fut propice à la diffusion d'un mouvement d'émancipation des femmes en Islam, le mouvement d'émancipation des femmes en Islam - « le » ou plutôt « les » féminismes musulmans - émerge également dans les années 1970 aux États-Unis. Plus tard, dans les années 1990, il s'étendra aux espaces francophones européens. Notons qu'au départ, le terme « féminisme », référant aux mouvements sociaux occidentaux, se voyait remplacé par ceux de « militance » ou « engagement ». Les femmes désiraient marquer la distance par rapport au monde occidental.

Précurseure, Amina Wadud, née en 1952 aux Etats-Unis, bouscule les pensées avec son ouvrage « Qur'an and Woman : Rereading the Sacred Text from a Woman's Perspective »[7]. La théologienne, afro-descendante convertie à l'Islam, y relit les textes sacrés à l'aulne de l'égalité entre les femmes et les hommes. Elle avance notamment que seul le degré de piété peut distinguer les êtres humains entre eux, le genre ne peut pas être un critère de division. C'est le patriarcat qui instrumentalise le Coran afin de s'imposer comme système de domination. Amina Wadud propose une nouvelle rhétorique islamique où les femmes se voient érigées en égales des hommes, où les textes sacrés islamiques prônent l'égalité et la justice. Les écrits de cette théologienne ont parcouru le monde. Elle reste une référence pour les femmes actives dans le mouvement.

En Iran, cette réflexion sur le féminisme islamique a été prolongée par le travail d'universitaires comme Afsaheh Nahmabadi et Ziba Mir Hosseivi dont nous parlions plus haut.

Aujourd'hui, une particularité du mouvement de libération des femmes en Islam est son côté transnational. En effet, des femmes musulmanes de tous pays se sont rassemblées en réseaux internationaux[8]. Ce côté transnational permet, selon Margaux Badran, d'abord de montrer la diversité des interprétations des textes donnant naissance aux normes sociales et règles juridiques dans divers pays, majoritairement islamiques. La mise en lumière de la diversité des comportements répondant de l'Islam montre que les lois dites « découlant de la charia », variables selon les territoires, ne sont que constructions humaines, donc dé-constructibles. Ces réseaux permettent également de diffuser l'information concernant les droits des femmes en général et particulièrement des femmes musulmanes. La diffusion de telles informations encourage les femmes à se percevoir égales aux hommes, au moins sur le plan juridique. Enfin, le réseautage facilite le partage de résultats de recherches de chercheuses ou de nouveaux outils conceptuels, ce qui consolide le mouvement d'émancipation des femmes en Islam.

Transnational d'un côté certes mais local de l'autre. En effet, comme le dit Malika Hamidi, les luttes féministes des femmes musulmanes varient en fonction des contextes nationaux dans lesquels ces dernières évoluent. Chaque mouvement local définit ses revendications prioritaires. En Belgique et en France par exemple, la lutte féministe se pare d'antiracisme : il s'agit entre autres de faire accepter les femmes voilées dans le monde de l'enseignement et sur le marché de l'emploi. Sur d'autres territoires, les priorités seront données à la réforme du code de la famille, à la lutte contre la malnutrition, au droit de vote, etc. Chaque lutte se voit contextualisée. Ce qui fait dire à Margot Badran que « l'expression militante du féminisme islamique au niveau mondial, en évolution constante, n'a nullement été affaiblie par la construction de mouvements sociaux locaux : les deux niveaux se nourrissent et se renforcent mutuellement. Bien des militantes sont actives à la fois dans les réseaux mondiaux et dans les organisations locales, allant et venant sans cesse entre espace mondial et espace national, espace réel et cyberespace. »[9].

On peut donc concevoir, sur le plan international, un mouvement général d'émancipation des femmes en Islam « un féminisme musulman », tout en reconnaissant les spécificités locales, amenant à penser « aux féminismes musulmans ». Notons que, comme dans tout mouvement social, il y existe différentes tendances, différentes fractures sur des sujets sensibles, notamment autour du corps des femmes et de la conception de la famille (avortement, GPA, homosexualité, etc). Fractures que l'on retrouve également au sein du féminisme « blanc » que nous connaissons mieux.

Les voiles comme outils de revendication

Les féministes musulmanes dont nous parlons ici prônent la liberté de choisir si oui ou non une femme désire porter un voile, ainsi que la manière de le porter. Le choix revient à la femme et à elle-seule. Ni le Coran, ni le Fiqh, ni la Charia, ni un mari, un frère, un oncle,... ne peut pas contraindre une femme à se couvrir les cheveux. Pour Hanane Karimi, sociologue française et porte-parole du collectif « Les femmes dans la mosquée » : « Ce n'est pas à un gouvernement, à un mari ou à une religion de décider pour moi. Imposer le voile ou l'interdire, c'est suivre la même logique. Celle qui empêche les gens de choisir leur liberté. »[10]. Pour elle, il est tout autant patriarcal d'imposer le voile que d'imposer le dévoilement.

Evidemment, les pressions sociales et familiales existent et certaines filles ou femmes se sentent obligées de se couvrir. Cela, les féministes musulmanes le dénoncent tout autant que les féministes dites « occidentales » ou « mainstream », remontées contre la religion (principalement catholique) et les normes imposées par cette institution[11]. Malika Hamidi ajoute que Dieu a voulu l'engagement des femmes, au même titre que celui des hommes. Les femmes ont le devoir de s'engager socialement, comme l'ont fait nombre de femmes dans l'histoire islamique (mais passées sous silence). « Selon les féministes musulmanes, le foulard islamique n'est pas censé enfermer la femme au foyer : bien au contraire, le foulard doit l'épanouir s'il est porté de plein gré ».

Malika Hamidi et Hanane Karimi prennent position tant contre un sexisme intracommunautaire que subissent encore nombre de femmes musulmanes que contre un racisme extracommunautaire qui ne verrait dans le foulard qu'un signe de soumission et demanderait aux femmes de se découvrir.

Malika Hamidi va plus loin en relayant que pour certaines femmes, se couvrir le corps leur permet de vivre des relations plus égalitaires avec les hommes. Les voiles permettraient aux femmes « d'acquérir davantage de respect pour elle[s] et représente[nt] un vecteur de participation sociale, politique et culturelle ». On retrouve ici les arguments des premières féministes iraniennes. Certaines femmes poussent la réflexion plus loin encore et considèrent que se couvrir le corps permet d'effacer celui-ci et de s'écarter de l'image sexualisée de la femme. Paradoxalement, le refus de l'over-sexualisation du corps des femmes est également une des revendications des féministes occidentales demandant aux femmes musulmanes de se découvrir...

Nous pourrions continuer à énoncer bon nombre de raisons qui poussent les femmes musulmanes à choisir de se couvrir, plus ou moins, avec ou sans couleur, les cheveux, notamment le désir de se distinguer et de s'identifier à une communauté. Certaines femmes, par exemple, revendiquent de plus en plus le droit de porter un foulard dans le monde de l'enseignement et sur le marché de l'emploi car elles s'insurgent face au racisme que subissent leurs concitoyennes musulmanes. Ce n'est pas par désir de se montrer particulièrement pieuses, mais plutôt par soutien à leurs sœurs qui le sont, que des femmes vont défendre le port d'un foulard. Nous sommes dans le champ de la solidarité communautaire plutôt que dans celui du religieux ou de pressions familiales. Mais ceci pourrait faire l'objet d'une nouvelle analyse.

***

« Le foulard couvre mes cheveux, pas mon cerveau » déclarait une participante au projet « Forgotten Women »[12]. Trop souvent, le regard s'arrête sur ces foulards. Il est temps de voir les femmes, toutes les femmes, voilées ou non, comme des citoyennes vivant dans un monde complexe et trouvant leurs propres réponses face aux difficultés rencontrées quotidiennement en tant que femmes et, pour certaines, musulmanes.

Pour aller plus loin :

- Malika Hamidi, Un féminisme musulman, et pourquoi pas ? 2017.

- Margot Badran, « Où en est le féminisme islamique ? », paru dans Critique Internationale, n°46, 2010. https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2010-1-page-25.htm

- Projet « Forgotten Women » de Bepax : http://www.bepax.org/publications/etudes-et-outils-pedagogiques/outils-pedagogiques/feminisme-s,0000838.html

- Delphine Minoui, Les pintades de Téhéran, edts Jacob-Duvernet, 2007.


[1] https://mevs.org/files/tmp/Tunisia_FinalReport.pdf

[2] Les pintades de Téhéran, p 12.

[3] Les pintades de Téhéran, p 17.

[4]Notons qu'au niveau politique, de plus en plus de voix s'élèvent pour laisser aux femmes le choix de porter le voile ou non.

[5] Les pintades de Téhéran, p 12.

[6]Les pintades de Téhéran, p 12.

[7] http://www.weldd.org/sites/default/files/Wadud%20Amina%20Qur%27an%20and%20Women.pdf

[8] Women Living under Muslim Laws (WLUML) ; Sisterhood Is Global Institute (SIGI) ; Women's Islamic Initiative in Spirituality and Equality (WISE) ; et le réseau Masawah.

[9]Dans « Oû en est le féminisme islamique ? », références plus bas.

[10] http://www.lemondedesreligions.fr/actualite/feminisme-islamique-versus-feminisme-laique-31-05-2016-5523_118.php

[11]Voir « Paire de jambes, décolleté, féminisme et Islam » : http://www.bepax.org/publications/analyses/une-paire-de-jambe-qui-divise-musulmanes-et-feministes-et-alors,0000861.html

[12]http://www.bepax.org/publications/etudes-et-outils-pedagogiques/outils-pedagogiques/feminisme-s,0000838.html

 

Source: http://www.bepax.org/publications/analyses/sous-le-voile-des-apparences-un-foulard-pour-l-emancipation,0000928.html