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climat CdS1020
Après un
rapide état des lieux de la gouvernance climatique en Belgique qui en pointait différentes faiblesses, voici différentes pistes permettant de renforcer le cadre de cette gouvernance afin d’assurer le pilotage de la transition vers une économie zéro carbone à l’horizon 2050. Premier volet : les différentes options permettant d’améliorer la cohérence entre les niveaux de pouvoir (intégration verticale). Second volet : les propositions permettant de sortir de l’approche « en silo » et de renforcer la cohérence entre les compétences au sein de chaque entité (intégration horizontale). Un dernier paragraphe est consacré à la participation citoyenne et aux innovations sociales.

Un prérequis avant de se lancer : sans volonté politique, le meilleur système de gouvernance restera inefficace. La survie de l’humanité et des écosystèmes doit devenir la priorité politique à tous les niveaux de pouvoir. On peut malheureusement regretter que cette ambition fasse plus particulièrement défaut du côté de certains partis politiques flamands notamment, qui sont plus réticents à mettre en place des mesures climatiques ambitieuses. Les résultats des dernières élections ne permettent malheureusement pas d’espérer une amélioration, que du contraire.

Dans une approche d’intégration verticale : assurer une cohérence entre les niveaux de pouvoir

L’adoption d’une Loi spéciale climat sur les bases de la proposition de loi spéciale climat, déposée à la Chambre en février 2019, est bien entendu un outil clé pour assurer la coopération et la concertation entre l’Etat fédéral, les Régions et les Communautés et fixer des objectifs belges communs à moyen et long termes. Techniquement, l’adoption d’une loi climat sous la nouvelle législature est possible. L’article 7 bis de la Constitution, dont la modification est nécessaire pour assurer la base légale de cette proposition de loi, fait partie des articles ouverts à révision. Politiquement, par contre, les résultats du dernier scrutin rendent son adoption improbable. Dans l’état des positionnements actuels, il est impossible de réunir la majorité des 2/3 et la majorité simple dans chaque groupe linguistique nécessaires à son adoption.

A défaut d’un accord sur un nouveau cadre de gouvernance pour la coordination entre niveaux de pouvoir, espérons que les prochains gouvernements pourront néanmoins s’accorder sur la nécessité d’améliorer le fonctionnement des outils existants. La Commission nationale climat (CNC) doit en particulier être réformée, conformément à l’accord institutionnel sur la 6e réforme de l’état. Les avis du CFDD et le rapport d’information du Sénat sur la répartition des objectifs climatiques pourront servir de guide à cette réforme.

Il est par ailleurs essentiel de garantir la transparence de toutes les institutions pour la coordination de la politique climatique[1] en mettant rapidement à disposition du public les ordres du jour, documents et comptes rendus des réunions, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. En particulier, les positions prises par les représentants des différentes entités dans une négociation interfédérale doivent être rendues publiques, afin que les citoyens de chaque région ou entité puissent savoir ce qui est défendu en leur nom.

Il faudra aussi s’accorder sur le burden sharing 2030 et prévoir une procédure fluide de répartition structurelle intra-belge des objectifs climat-énergie pour satisfaire rapidement aux révisions des objectifs prévues tant dans l’Accord de Paris (entre 2018 et 2020, puis entre 2023 et 2025, etc.) que dans le cadre des directives européennes EE et SER (2023).

Dans une approche d’intégration horizontale : sortir de l’approche « en silo » et renforcer la cohérence entre les compétences au sein de chaque entité

L’Agenda 2030 de l’ONU forme un cadre utile pour renforcer la cohérence entre les compétences au sein de chaque niveau de pouvoir. Transversal avec ses 17 Objectifs de Développement Durables (ODD), l’Agenda 2030 offre aussi l’avantage d’être un cadre politique international que la Belgique s’est engagée à atteindre. Elle pourra également s’inspirer des bonnes pratiques mises en œuvre à l’étranger[2] pour progresser.

Encore une fois, un leadership politique fort pour la mise en œuvre des ODD, impulsé par le Ministre-Président au niveau régional et le Premier Ministre au niveau fédéral, est un préalable indispensable.

Au-delà des politiques sectorielles à mettre en œuvre pour atteindre chacun des 17 objectifs, il s’agit de progressivement développer une « vision à 360° » des enjeux, d’inscrire les décisions dans une perspective de transition juste vers une société durable, décarbonée et résiliente et d’augmenter la cohérence des décisions prises. Pour ce faire, il faudra progressivement intégrer le climat et les autres ODD (égalité des sexes, réduction des inégalités, santé, protection de la biodiversité, etc.) dans l’ensemble des processus décisionnels existants : accords de gouvernement, notes de politiques générales, exercices budgétaires, contrats d’administration, décisions du gouvernement, travail des commissions parlementaires, analyses d’impact de la réglementation, etc.

En particulier, l’adoption d’une stratégie globale de réorientation des dépenses et des investissements pour une société durable décarbonée est un levier puissant vers davantage de cohérence de l’action publique. Une telle stratégie devra inclure les éléments suivants :

  • La mise en place d’un budget durable, à l’instar de la Finlande ;[3]
  • Des politiques de désinvestissement fossile des moyens publics et privés ;
    Un plan pluriannuel d’investissements pour la transition juste vers une société décarbonée ;
  • La mise en place au niveau belge une contribution carbone socialement juste pour décourager l’usage des énergies carbonées ;
  • L’utilisation des recettes provenant des revenus ETS pour la politique climatique nationale et le financement international de la lutte contre les changements climatiques ;
  • Le soutien au projet de Pacte-Finance climat européen.

Une attention particulière devra également apporter à la transition juste et à ses différentes dimensions : dialogue social, développement d’infrastructures publiques de qualité, développement des compétences, création d’emplois décents, formations et éducation permanente des jeunes et des travailleurs aux emplois de demain, renforcement de la protection sociale. Il est nécessaire d’identifier dès à présent les impacts positifs et négatifs qu’implique la transition vers une société bas carbone sur l’économie et l’emploi, ainsi que les besoins en formation.

La Wallonie a la chance de pouvoir compter sur le décret climat pour piloter la transition. Il faut cependant renforcer sa mise en œuvre et notamment:

  • Adopter dès que possible les budgets carbones pour les périodes 2023-2027 et 2028-2032 et renforcer leur niveau d’ambition pour les rendre conformes aux objectifs de l’accord de Paris ;
  • Rendre le plan climat et énergie plus concret en termes de mesures et de détails de mise en œuvre (calendrier, budget …) ;
  • Donner d’avantage d’attention politique aux avis du comité d’experts ;
  • Evaluer la pertinence de calquer le calendrier du Décret climat wallon sur le calendrier du règlement européen sur la gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat ;
  • Renforcer les capacités des administrations impliquées dans la mise en œuvre des politiques climatiques, dont les missions n’ont fait que s’étendre et qui, pour certaines, sont en sous-effectifs.

Dans une approche participative et d’innovation sociétale :

Les multiples crises qui traversent nos sociétés nous invitent à réinventer nos manières de faire société ainsi que nos démocraties représentatives à bout de souffle. Pour reprendre la citation si connue d’Einstein, « on ne peut pas résoudre un problème avec le même type de pensée que celle qui l’a créée».

Afin d’orienter les choix en fonction des priorités à long terme dans l’intérêt des générations futures et revitaliser notre démocratie représentative, un collectif pluridisciplinaire français réuni par la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) a lancé une proposition audacieuse et innovante : créer une troisième chambre parlementaire, l’Assemblée citoyenne du futur[4]. Cette nouvelle assemblée serait dotée de deux grandes missions : garantir la prise en compte du long terme dans le processus législatif et associer les citoyens à l’élaboration de la loi. Cette nouvelle assemblée disposerait de pouvoirs spécifiques (pouvoir d’alerte législative, pouvoir d’initiative législative spécialisé, demande de nouvelle délibération, pouvoir de saisine de la Cour constitutionnelle). L’Assemblée citoyenne du futur ferait ainsi entrer l’environnement et la prise en compte du bien être des générations futures de manière systématique et permanente dans la production de la loi. Chez nous, l’asbl « Grands-parents pour le climat » développe actuellement une proposition d’Assemblée citoyenne du futur adaptée aux réalités institutionnelles belges. Une telle assemblée citoyenne interfédérale du futur pourrait remplir la fonction de « dialogue multiniveaux sur le climat », prévu dans la proposition de loi spéciale climat.

De nombreuses innovations sociétales voient déjà le jour, souvent au niveau local : participation citoyenne, intelligence collective, co-création, gouvernance partagée, communs, monnaies complémentaires, budgets participatifs, etc. Ces expérimentations méritent d’être soutenues, développées et documentées, notamment par les mesures suivantes :

  • Mettre en place un « Centre national de co-création », qui recueille une expertise sur les processus de co-création et d’intelligence collective et la mette à la disposition de tous.
  • Installer une cellule de facilitation au sein des administrations pour sensibiliser, former et soutenir les fonctionnaires dans leurs processus participatifs et d’intelligence.
  • Renforcer la gouvernance partagée au sein des administrations à l’image de certaines administrations fédérales.
  • Mettre en place des projets pilotes participatifs de co-création exemplaires avec la société civile et les citoyens au sein de chaque ministère et les évaluer.
  • Instaurer un co-financement régional pour inciter à la création de budgets participatifs au niveau communal.

[1] CNC, Conférence interministériel de l’Environnement (CIE), Comité de coordination de la politique internationale de l’environnement (CCPIE), Directorat-général Affaires européennes (DGE), Cellule de concertation sur l’énergie Etat-Régions (CONCERE). Voir https://www.climat.be/fr-be/politiques/politique-belge/politique-nationale/organes-de-decision

[2] Voir notamment HIVA, 2018, The SDGs as a lever for change in policy pratices, étude commanditée par le CFDD

[3] IDDR, 2019, Construire un budget pour les générations futures. Interview de Mme Annika Lindblom, billet de blog 22 janvier 2019.

IGPDE, 2018, Finlande: pays pionnier en matière de budget durable, Note réactive –N° 106 –décembre 2018

[4] Dominique Bourg, 2017,Inventer la démocratie au XXI siècle. L’Assemblée citoyenne du futur

Source: https://www.iew.be/pistes-pour-une-gouvernance-climatique-ambitieuse/