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 BILLET DE BLOG 5 AVR. 2022

GIEC : enrayer la crise climatique est possible mais il manque le courage politique

Le GIEC a publié le troisième et dernier volet de son 6ème rapport d’évaluation. La bonne nouvelle : il est encore possible de lutter contre la crise climatique et des solutions abordables et viables existent. La mauvaise : nous sommes encore loin d’être sur la bonne trajectoire et il devient de plus en plus urgent d’agir. Par Rebecca Thissen.

Alors que le premier chapitre du rapport de synthèse nous expliquait les bases scientifiques de la crise climatique et que le second nous en exposait les différentes conséquences, le troisième volet porte sur les solutions pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Ce dernier rapport fournit une feuille de route claire sur la manière d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre pour les trois prochaines décennies, selon différents scénarios de réchauffement. Le rapport de synthèse de ces trois chapitres est attendu pour septembre 2022. 

3 ans pour atteindre le pic d’émission 

Les conclusions de ce troisième volet rappellent que pour rester sous la barre des 1,5°C et en éviter au maximum le dépassement, il faut parvenir à des émissions mondiales nettes nulles au plus tard en 2050. Outrepasser ce seuil, même temporairement, impliquerait des dommages irréversibles et des risques plus importants pour les humains et les écosystèmes. A plus court terme, les scientifiques indiquent qu’il faudrait que les émissions mondiales atteignent un pic d’ici à 2025. Si on constate que la cadence d’augmentation des gaz à effet de serre (GES) a tendance à légèrement ralentir (le taux annuel de croissance des émissions mondiales est passé d'une moyenne de 2,1 % entre 2000 et 2009 à 1,3 % entre 2010 et 2019), nous sommes encore loin d’entamer une diminution rapide et structurelle. La pandémie n’a d’ailleurs rien changé à cette tendance sachant que les émissions liées aux énergies fossiles et à l’industrie ont rebondi de 6% en 2021, après avoir connu un déclin conjoncturel entre 2019 et 2020. Le rapport du GIEC confirme par ailleurs que plus la diminution de nos émissions commence tard, plus l’effort devra être important et rapide (et donc coûteux) pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris. La décision de rehausser dès 2022 les différents plans climat des Etats, prise lors de la COP26 de Glasgow, prend donc toute son importance au regard du nouveau rapport.  

La fin officielle des énergies fossiles 

Selon les scientifiques du GIEC, pour rester en ligne avec l’objectif des 1,5°C de réchauffement global, l’utilisation mondiale du charbon, du pétrole et du gaz devrait respectivement décliner de 95%, 60% et 40% d’ici à 2050 (comparé aux niveaux de 2019). Ces valeurs deviennent encore plus importantes lorsqu’on ne conçoit pas d’avoir recours aux méthodes de capture et de stockage de carbone : on devrait réduire de 100% notre utilisation de charbon, de 60% celle du pétrole et de 70% celle du gaz d’ici 2050 (par rapport aux niveaux de 2019). En d’autres termes : sortir rapidement de notre dépendance aux énergies fossiles est impératif. Ces conclusions sont en lien direct avec la guerre actuelle en Ukraine et le besoin d’assoir rapidement notre indépendance énergétique, notamment vis-à-vis de la Russie. Cela implique l’arrêt de la construction de toute nouvelle infrastructure, un désinvestissement progressif mais inéquivoque dans les combustibles fossiles, tant sur le plan domestique qu’à l’étranger, et des investissements massifs dans le développement des énergies renouvelables et des mesures d’efficacité énergétique. Les expertes et les experts identifient également les nombreux co-bénéfices qui découlent d’une transition énergétique propre, notamment en termes de qualité de l’air, santé et sécurité énergétique. 

Des solutions existent 

Le rapport confirme qu’il y a eu des réductions importantes dans les coûts des technologies pour développer les énergies renouvelables : les coûts ont été réduits de 85% pour l’énergie solaire, 55% pour l’éolien et 85% pour les batteries de lithium, parallèlement à leur déploiement exponentiel. Attention toutefois à veiller à ce que cet essor des énergies vertes intègre la question stratégique mais aussi éthique d’une nouvelle potentielle dépendance aux minerais dits « rares », tels que le lithium, le cobalt ou le coltan, qui ont eux-mêmes leurs limites et leurs implications géopolitiques, principalement dans les pays du Sud. De plus, le GIEC met en relief une série de solutions d’atténuation telles que l'infrastructure et l'aménagement du territoire, la gestion des terres, la protection des écosystèmes ou la décarbonation de l’industrie. Tout comme les énergies renouvelables, un ensemble de solutions durables sont désormais rentables, efficaces et généralement soutenues par l’opinion publique. Le rapport parle aussi de solutions moins fiables, comme celle de l’absorption du carbone. Ces différentes technologies, bien que considérées comme incontournables désormais, doivent être appréhendées avec énormément de précaution, tenant compte des nombreux risques et incertitudes qui restent quant à leur déploiement à grande échelle. En outre, le déclin rapide et drastique de nos émissions au cours des deux prochaines décennies reste la solution la plus certaine pour réduire les risques de dépassement de l’objectif de 1,5°C de réchauffement. 

Les changements de comportements mis en relief 

Les scientifiques alertent : les technologies ne suffiront pas. Il est aussi indispensable de repenser en profondeur nos modes de consommations et de production. Les changements de comportements, particulièrement des individus les plus riches, peuvent jouer un rôle clé : ils permettraient de réduire de 40 à 70% de nos émissions d’ici à 2050, par rapport aux politiques climatiques actuelles. La marche ou le vélo, l'évitement des vols long-courriers, l'adoption de régimes alimentaires végétariens, la réduction des déchets alimentaires figurent parmi les options d'atténuation de la demande les plus efficaces. Ces modifications de modes de vie et de comportement doivent être accompagnées de mesures politiques qui les rendent abordables et accessibles pour l’ensemble de la population. Cela peut se faire par exemple en subventionnant les technologies à faibles émissions ou en fixant des normes qui imposent une plus grande efficacité énergétique. Attention toutefois de tenir compte des inégalités sociales existantes : la part de responsabilité des individus les plus riches (et donc les efforts attendus de leur part) est bien plus conséquente que celle des individus aux revenus plus modestes. En effet, au rythme actuel, les émissions de consommation (par habitant) des 1 % les plus riches du monde seront, d’ici 2030, 16 fois supérieures à la moyenne et 30 fois supérieures au niveau mondial d’émission par habitant compatible avec l'objectif de 1,5⁰C. A l’inverse, l’empreinte carbone de la moitié la plus pauvre de la population du globe devrait rester largement inférieure à ce niveau. 

Une collaboration et une solidarité renforcées 

Dans un monde aussi globalisé que le nôtre, nous sommes tous connectés et interdépendants. Ainsi, retarder ou même sacrifier des réductions d’émissions dans certains secteurs ou régions implique que des mesures d’atténuation compensatoires devront automatiquement être prises par d’autres ou ailleurs. Le GIEC appelle dans ce contexte à une coopération internationale renforcée. Les aspects liés à la répartition des efforts et à l’équité, tant au sein des Etats qu’entre eux, sont des composantes essentielles à prendre en compte pour parvenir à une transformation suffisamment rapide et juste socialement.  

En parallèle, les scientifiques établissent que les flux financiers actuellement recensés sont inférieurs aux niveaux nécessaires pour atteindre les objectifs d'atténuation dans tous les secteurs et toutes les régions du monde. En effet, le GIEC estime que les niveaux d’investissements devraient être de 3 à 6 fois plus élevés entre 2020 et 2030, pour les scénarios qui limitent le réchauffement à 2°C ou 1,5°C. Respecter les engagements en matière de financement climat international est donc plus que jamais crucial. C’est d’ailleurs confirmé dans le résumé pour les décideurs : « l’accélération de la coopération financière internationale est un catalyseur essentiel des transitions justes et à faibles émissions de GES, et peut permettre de remédier aux inégalités en matière d'accès au financement, de coûts et de vulnérabilité aux effets du changement climatique (confiance élevée). »

Une question sur toutes les lèvres : l’heure du courage politique est-elle venue ? 

Ce rapport constitue un énième appel à passer à l’action, à commencer par les plus gros pollueurs. Il met par ailleurs en avant de nombreuses solutions et stratégies qui, au-delà de permettre de contenir le niveau de réchauffement global en deçà des niveaux dangereux, proposent également de promouvoir l’Agenda 2030 et ses 17 objectifs de développement durable. Les connaissances, les principes et les données sont connues et confirmées. L’ingrédient cruellement manquant reste le courage et la volonté politiques.  

Rebecca Thissen.

CNCD-11.11.11