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Tout le monde est persuadé depuis quelques semaines que quelque-chose va se passer. La situation en Union européenne et spécialement dans la zone Euro ne peut plus durer. On pressentait une crise générale de l’Euro. Elle n’a pas encore eu lieu. Cela peut venir à tout moment, cependant. Mais, jusqu’à présent, ce n’est pas cela

Non, l’événement s’est produit le 29 décembre à Athènes. Le Parlement grec n’a pas réussi à élire au troisième tour de scrutin, le Président de la République grecque. D’aucuns diraient, c’est une crise politicienne de plus, sans importance. La fonction présidentielle est purement honorifique. Il n’y a donc pas d’enjeu. Mais cela ne s’est pas passé ainsi.

Le président de la République hellénique est élu par les députés pour un mandat de cinq ans. Il doit obtenir 200 voix lors des deux premiers tours de scrutin et 180 au troisième, sur les 300 députés de l’assemblée. Les trois tours de scrutin ont eu lieu les 17, 23 et 29 décembre.

Le hic : Si le candidat du gouvernement ne parvient pas à se faire élire par les députés au terme de ces trois tours, il y a dissolution de l’Assemblée et convocation d’élections législatives anticipées.

Le Premier ministre conservateur Antonis Samaras avait fait de ce scrutin un enjeu majeur sous la pression de la Troïka (Commission européenne, BCE, FMI) qui souhaite que celui-ci ait une majorité forte pour pouvoir poursuivre la politique d’austérité qui devient de plus en plus insupportable pour le peuple grec. Son candidat était Stavros Dimas, un droitier de « Nouvelle démocratie » et ancien commissaire européen – le candidat idéal pour la Troïka.

Une victoire de Syriza ne plairait pas à tout le monde.

Donc, ce sont les élections. C’est sans doute ce que voulait Alexis Tsipras, le numéro un de Syriza. Il a déclaré : « C'est un jour historique pour la démocratie grecque. Les députés grecs, les partis de l'opposition démocratique, ont démontré que la démocratie ne s'exerce pas sous un chantage. (…) Quand la grande majorité du peuple grec est décidée à mettre fin aux politiques d'austérité, alors, les députés ne peuvent faire autrement que de se conformer à la volonté populaire. Aujourd'hui, le gouvernement Samaras, qui depuis deux ans et demi a ravagé la société et qui s'était déjà prononcé et engagé pour de nouvelles mesures, appartient au passé. Et avec la volonté de notre peuple, d'ici quelques jours, les mémorandums d'austérité feront aussi partie du passé. »

Mais cette crise politique et surtout la perspective d’une victoire de Syriza ne plaisent pas à tout le monde, et spécialement à la Troïka qui a réagi via le FMI. Il y a manifestement panique à bord : le versement de la prochaine tranche d'aide du Fonds à la Grèce est suspendu en attendant la formation d'un nouveau gouvernement qui suivra les élections anticipées de la fin janvier.

Les discussions sur ce versement, effectué conjointement avec les autorités européennes, « reprendront une fois qu'un nouveau gouvernement sera en place » à Athènes.

Pas question d’un changement politique

De son côté, le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, le gardien de l’ordolibéralisme germanique, a déclaré le jour même du déclenchement de la crise politique que la Grèce devrait continuer sur la voie des réformes déjà engagées, quelle que soit l'issue des élections législatives prévues fin janvier. « Les difficiles réformes (mises en œuvre en Grèce depuis la crise financière) ont porté leurs fruits, elles sont sans aucune alternative. Les nouvelles élections ne changent rien aux accords passés avec le gouvernement grec », a affirmé le ministre conservateur, dans une déclaration écrite après l'annonce de législatives anticipées en Grèce.

En clair, quelle que soit l’issue du scrutin, pas question d’un changement de politique !

Rappelons que ce n’est pas une première : la Troïka a déjà suspendu son aide parce que les Grecs ne manifestaient pas assez d’enthousiasme à se faire plumer.

Selon l’association altermondialiste ATTAC, « À plusieurs reprises, l’UE et le FMI sont revenus sur leurs déclarations et ont suspendu les versements promis pendant des semaines voire des mois pour faire pression sur la démocratie grecque : à l’automne 2011 pour empêcher la tenue d’un referendum sur la politique d’austérité ; en mai-juin 2012 pour augmenter les chances des partis amis de la Troïka lors des élections législatives.

En suspendant les fonds promis, la Troïka contraint le gouvernement grec à émettre des obligations à court terme pour éviter la faillite imminente. Ces « bons du Trésor », arrivant à échéance en quelques semaines ou quelques mois, revêtent un taux d’intérêt plus élevé, ce qui augmente de fait la dette publique grecque.

Une preuve de plus que la réduction de la dette n’est pas la principale préoccupation de la Troïka mais plutôt un prétexte pour poursuivre la destruction de l’État providence et des droits des travailleurs. »

Et on peut comprendre l’inquiétude des dirigeants européens devant la crise politique actuelle. Lisons les conclusions de cette récente étude d’ATTAC – Autriche qui n’ont pas été démenties :

Depuis mars 2010, l’Union européenne et le Fonds monétaire international ont attribué 23 tranches de financement au prétendu « sauvetage de la Grèce », pour un total de 206,9 milliards d’Euros. Ils n’ont cependant fourni presque aucune précision sur l’utilisation exacte de ces énormes sommes, provenant de fonds publics

C’est pourquoi Attac Autriche a entrepris une étude sur cette question : au moins 77% de l’argent du plan de sauvetage ont bénéficié directement ou indirectement au secteur de la finance.

Les résultats en détails sont édifiants :

58,2 milliards d’Euros (28,13%) ont servi à recapitaliser les banques grecques

au lieu de restructurer ce secteur trop grand et moribond de manière durable et de laisser les propriétaires des banques payer pour leurs pertes.

101,331 milliards d’Euros (48,98%) sont allés aux créanciers de l’État grec.

Parmi lesquels 55,44 milliards d’Euros ont été utilisés pour rembourser des bons du Trésor arrivés à échéance —au lieu de laisser les créanciers assumer le risque pour lequel ils avaient préalablement perçu des intérêts. 34,6 autres milliards d’Euros ont servi de prime d’incitation pour obtenir l’accord des créanciers sur le prétendu « allègement » en mars 2012. 11,3 milliards d’Euros ont été affectés au rachat de la dette en décembre 2012, lorsque l’État grec a racheté des bons presque sans valeur à ses créanciers.

43,7 milliards d’Euros (22,46%) ont alimenté le budget de l’État ou n’ont pu être clairement affectés.

0,9 milliard d’Euros (0,43%) ont constitué la contribution de la Grèce au financement du nouveau fonds de sauvetage, le MES (Mécanisme Européen de Solidarité).

Les résultats du rapport d’Attac Autriche réfutent les affirmations publiques des institutions et chefs d’État européens, selon lesquelles c’est la population grecque qui a bénéficié desdits « plans de sauvetage ». C’est plutôt elle qui paie pour sauver les banques et les créanciers en subissant une brutale course à l’austérité, ainsi que les catastrophiques conséquences sociales que l’on sait.

Ajoutons que parmi ceux qui ont été sauvés, on compte le clan multimilliardaire Latsis, l’une des plus riches familles grecques, qui détient en grande partie l’Eurobank Ergasias sauvée par l’État. Des spéculateurs en ont aussi profité : lors du rachat de la dette en décembre 2012, le fonds spéculatif Third Point a empoché 500 millions d’Euros grâce aux fonds publics européens.

Cela sent l’hallali pour la Troïka.

Cependant, si Syriza représente un espoir de changement, il ne faut pas se faire d’illusions. En premier lieu, si on voit la composition du parlement sortant, même si la formation de Tsipras l’emporte largement, il est impossible qu’il ait une majorité suffisante pour gouverner seul.

Le Parlement d’Athènes comprend 300 députés qui se répartissent en 127 Nouvelle démocratie (droite conservatrice, le parti de Samaras), 28 PASOK (Socialistes) qui forment la majorité sortante. Il y a en outre 12 indépendants, 17 démocrates indépendants issus de dissidences provenant de tous les autres partis démocratiques. La gauche de la gauche comprend 71 députés SYRIZA (Tsipras) et 12 KKE (Communistes). A tout cela, il faut ajouter 8 non inscrits. Enfin, il ne faut pas les oublier, 16 membres du parti néo-nazi Aube dorée.

On comprend à la lecture de ces chiffres que même si Syriza devient largement le premier parti grec, sans doute au détriment du PASOK et des Communistes, il sera obligé de composer s’il veut gouverner. Tsipras en est parfaitement conscient. Depuis longtemps, il a pris des contacts avec des personnalités d’autres formations politiques du centre et de gauche. D’ailleurs, il ouvre les listes de Syriza à des candidats indépendants et d’autres formations politiques.

En second lieu, les pressions de l’UE et de la Troïka ne sont pas à négliger. Alexis Tsipras le sait très bien, puisqu’il a fait le tour des capitales européennes, rencontré les dirigeants du FMI et de la BCE pour « rassurer » sur ses intentions. Les éternels gauchistes « critiques » qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, le lui ont assez reproché !

On ne peut cependant reprocher à Syriza de s’être affiné, sans pour autant oublier les fondamentaux. Le politologue Gerassimos Moschonas a exposé à « Mediapart » : « En 2012, Syriza était un parti spécialiste de la protestation, il était naïf dans ses critiques comme dans ses certitudes. Aujourd'hui ce n'est plus un parti naïf, c'est un parti qui a mûri, qui a approfondi sa réflexion. Ce changement s'explique aussi par le fait que la situation a changé : lorsque Syriza parle de restructuration de la dette là où il parlait auparavant d'effacement unilatéral, il faut noter que la structure de la dette elle-même a changé. La dette publique de la Grèce aujourd'hui est essentiellement détenue par les États européens, et non par des institutions privées comme c'était le cas avant 2012. Enfin, l'approche de la possibilité d'accéder au pouvoir a conduit Syriza à modérer son discours. On a vu ainsi deux processus parallèles se développer au sein du parti : la modération d'une part, qui est la stratégie principale de Syriza. Mais il y a également une forme de radicalisation : Syriza se prépare au pire, à un conflit grave avec l'Union européenne. Toutefois le courant le plus radical au sein de Syriza, la « Plateforme de gauche » qui prône la sortie de la zone euro, est resté plutôt discret ces derniers mois : il est très loyal vis-à-vis de la ligne majoritaire de Syriza et il met moins en avant ses positions anti-UE. »

En clair, Tsipras refuse de « tout casser ». Il veut renégocier avec l’Union européenne en exigeant par la restructuration de la dette et d’en effacer la moitié. Il compte également faire un audit sur celle-ci. Pour ce faire, il a pris contact avec le CADTM d’Eric Toussaint, entre autres.

Relevons une chose intéressante : de nombreux économistes dits non-conformistes ont prôné l’idée de l’annulation de la dette en général « le défaut » comme on dit, vont-ils l’appuyer lorsque le problème se posera en Grèce ? On mesurera leur sincérité !

Un programme qui fait « boule de neige » en Europe

D’autre part, Syriza entend non plus rejeter purement et simplement, mais renégocier ce qu’on appelle les « mémorandums d’austérité », ces diktats imposés par la Troïka qui ont poussé le peuple grec dans la misère. Ainsi, le parti exige que le SMIC qui avait été raboté en 2012 de 740 à 580 Euros par mois, soit ramené à son niveau de 2012, par la renégociation.

Moschonas ajoute : « …son [de Syriza] programme s'articule autour de trois axes : il y a tout d'abord la restructuration de la dette, qui a pour but de parvenir à un effacement de la moitié de celle-ci – c'est la partie la plus difficile à faire avancer étant donné l'attitude de l'Union européenne. Il y a ensuite, indépendamment de ce premier point, une politique macroéconomique expansionniste : une politique de croissance, qui s'appuie notamment sur l'argent public et les fonds européens. Enfin, Syriza n'abandonne pas les objectifs d'assainissement des finances publiques mis en œuvre par les gouvernements précédents : il ne s'agit pas de recréer des déficits budgétaires. L'amélioration des recettes fiscales, via la lutte contre les niches et l'évasion fiscales, doit contrebalancer l'accroissement des dépenses publiques. »

Il ya d’autres points dans ce programme, par exemple :

• Instauration d'une « clause de développement » garantissant que les sommes dépensées pour une relance de l’économie ne seront pas comptabilisées dans le budget.

• Recapitalisation des banques (dont la solvabilité est problématique), sans que les sommes en question soient comptabilisées dans la dette publique du pays.

Non seulement, ce programme ne plaît certainement pas à l’establishment européen, mais il s’inscrit dans un foisonnement d’idées qui se répandent dans toute l’Europe. Citons, entre autres, le mouvement « Nouvelle Donne » en France et en Belgique.

En clair, il s’agit d’un programme social-démocrate de gauche qui ne remet pas en question l’adhésion de la Grèce à l’Euro, ni à l’Union européenne, mais qui va incontestablement – si Syriza est à même de le faire appliquer après les élections du 25 janvier – se heurter à la rigidité de la Commission européenne.

Plusieurs scénarios sont possibles. Syriza emporte une large victoire et est à même de gouverner seule. Alexis Tsipras disposera d’un rapport de forces favorable à l’égard de la Commission. Par contre, si son résultat est mitigé, Syriza devra composer avec d’autres formations et donc, modérer son programme. Il s’agira d’un gouvernement faible et la Troïka aura donc toute latitude pour poursuivre son travail, voire durcir sa position. Enfin, si Syriza emporte une importante victoire, il devra composer, mais cette fois-ci en rapport de force. C’est le cas de figure le plus probable.

Une excellente image

Syriza a une excellente image de marque dans la population grecque. Il est devenu le premier parti chez les moins de 25 ans, dans un pays où 50 % d'entre eux sont au chômage. Ensuite, Alexis Tsipras ressemble à tout sauf à un stalinien des années cinquante ou à un gauchiste des années soixante. « Il a le sens de l'humour. C'est un homme politique qui pose des questions, qui ne prétend pas avoir toutes les réponses et qui sait écouter », explique au « Monde » l'écrivain Vassilis Alexakis, qui aime parler littérature avec lui.

En 2009, il est élu député. Il devient bientôt un des plus farouches opposants aux plans d'aide à la Grèce de l'Union européenne (UE) et du Fonds monétaire international (FMI), en contrepartie d'une sévère politique d'austérité. Avec son style sans cravate, il sait trouver des formules qui frappent comme : « Ils veulent transformer la Grèce en un pays avec des salaires de niveau bulgare et des prix de niveau bruxellois. »

Pendant la campagne de 2009, il réussit à capitaliser sur la vague anti- Troïka, mais tout en donnant un sens à un vote en dehors des deux partis traditionnels. Alors que les trois partis de gauche rassemblent 30 % des intentions de vote dans les sondages, il se présente comme une force alternative prête à rassembler qui ne recule pas devant l'idée de gouverner. Pour ce faire, il prend exemple sur la gauche dans plusieurs pays d’Amérique du Sud comme l’Equateur, la Bolivie, l’Uruguay, le Venezuela qui a réussi à parvenir au pouvoir par la voie électorale.

Il faut cependant ne pas oublier la droite. « Nouvelle Démocratie », le parti de Samaras est bien placé dans les sondages. En plus, si Syriza pourra capitaliser les voix des mécontents – et ils sont nombreux en Grèce – les néo-nazis d’Aube dorée peuvent engranger aussi de ce côté-là. Enfin, il y a les pressions de l’Union européenne qu’il ne faut pas négliger non plus : elle va jouer sur la peur.

Sans doute est-ce la Commission qui a peur ? Junker et Moscovici ont exprimé clairement leur crainte de voir Syriza fréquenter les salles de réunions feutrées du Berlaymont, violant ainsi une règle de base : les institutions européennes s’interdisent d’intervenir dans un scrutin d’un Etat membre de l’Union.

La peur de la Commission

François Leclerc, un ami de Paul Jorion écrit sur le blog de celui-ci :  « La seule position rendue publique, celle du FMI, affiche la dureté en annonçant la suspension de tout versement, mais cela avait déjà été décidé dans les faits, et il semble que le prochain gouvernement pourrait en tout état de cause durer jusqu’à juin 2015 sans nouvelle aide financière. La balle est dans le camp des dirigeants européens. À défaut de marges de manœuvre importantes, ce calendrier pourrait leur donner un peu de temps pour voir venir, si Syriza l’emportait. Mais l’incertitude risquerait de donner des idées aux suivants inscrits sur la liste des consultations électorales à venir, les Portugais et les Espagnols.

Dans cette crainte, les dirigeants européens ne voudront pas créer de précédent, ce qui ne leur donnera pas davantage de prise sur la situation grecque, à voir l’influence de leurs pressions sur le résultat des élections présidentielles ! À défaut de changer de politique, ils n’ont qu’une seule ligne de conduite et tentent de masquer le fiasco de celle qu’ils ont imposée. En Grèce, ils se réfugient derrière le fragile excédent primaire dégagé par la Grèce au prix d’une crise sociale dont l’ampleur semblait révolue en Europe, et qu’ils ont créée.

Dans un éditorial de fin d’année, le Financial Times réclame plus de marge de manœuvre pour les politiques nationales, au nom de la démocratie et de la solidarité européenne, afin de ne pas rester suspendu aux prochaines décisions de la BCE. Cela a tout l’air d’une bonne résolution de circonstance, qui ne sera pas suivie d’effet. Ceux qui ne se résolvent pas à réclamer un changement clair de politique et en énoncent les grands principes laissent le dernier mot aux responsables de l’état catastrophique dans lequel se trouve désormais l’Europe, qui pourrait bien représenter son ultime promesse. Ils en partagent la responsabilité.

La Grèce risque d’être à nouveau le laboratoire d’expériences conduisant au pire, sous l’égide d’apprentis sorciers qui n’en démordent pas pour ne pas être déjugés, animés par leur ralliement à la pensée libérale dogmatique, ce camouflage de leurs intérêts bien conçus. Syriza ne doit pas rester seul dans son combat, les formes doivent être trouvées. »

En clair, c’est la valse hésitation, mais le danger est réel.

L’opinion européenne bouge.

Il est en outre un aspect sans doute inattendu qui dépasse le seul cas grec : la réaction de l’opinion européenne via certains intellectuels et même chefs d’entreprise.

Ainsi, dans une chronique dans « Libération » du 30 décembre dernier, l’économiste secoueur d’idées, Thomas Piketty appelle à ce qu’un choc fasse bouger l’Europe. En constatant des aberrations comme l’Italie qui consacre 6 % de son PIB à rembourser les intérêts de la dette et 1 % à investir dans l’ensemble des universités, il appelle à un choc pour faire bouger les lignes en 2015. Ce choc pourrait être soit une nouvelle crise financière, un choc politique venant de la gauche, ou bien un choc venant de la droite.

Piketty écrit : « Les dirigeants politiques européens actuels devraient avoir l’intelligence de reconnaître que la deuxième possibilité est la meilleure est de loin la meilleure : les mouvements politiques qui prospèrent aujourd’hui à la gauche de la gauche, comme Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce, sont fondamentalement internationalistes et proeuropéens. Plutôt que de les rejeter, il faudrait travailler avec eux pour formuler le concours d’une refondation démocratique de l’UE. » Et, en dénonçant le danger que représenterait une victoire du FN aux élections régionales françaises de décembre 2015, Piketty lance un appel à François Hollande pour qu’il reconnaisse ses erreurs de 2012 et tende la main à l’Europe du Sud.

A écouter son dernier discours, le président français n’est pas prêt à changer de cap !

L’autre discours émane des milieux patronaux – non pas des officiels VOKA et FEB (le MEDEF belge) – mais d’un ancien administrateur de Sambrinvest et chargé de cours émérite à l’ULB : André Dumont. Dans une carte blanche au « Soir » du mercredi 31 décembre, il avertit : « Le gouvernement fédéral fonce dans une impasse ». Il est aveuglé par deux dogmes : « celui qui soutient que l’emprise de l’Etat étouffe l’économie privée, et celui selon lequel le manque d’argent empêche l’économie de repartir. » Ce n’est pas de la pensée unique, ça ! André Dumont fustige ce qu’il appelle « l’économie des désirs éphémères » avec des effets pervers tels qu’une compression des coûts de production et donc sur les revenus du travail. Or, ces revenus du travail sont l’élément essentiel de l’activité économique ! Enfin, « les actionnaires imposent aux managers de gérer les entreprises en vue de la plus-value boursière, et non de la rentabilité durable – et de l’emploi. Actionnaires et entrepreneurs sont devenus antagonistes. C’est même vrai pour les entreprises publiques. » Il ajoute que le manque d’argent est dû au fait que les particuliers et les entreprises ne mobilisent pas leur épargne parce qu’il n’y a rien d’utile à acheter et qu’ils veulent ne pas courir des risques inutiles. Quant à la fiscalité, elle devrait s’orienter sur les revenus du « non-travail » et de la consommation des « biens à faible contenu de travail européen comme les gadgets numériques. » Dumont prône de décharger fiscalement la construction d’habitations.

Le premier résistant d’Europe

En définitive, tous ces discours d’origines diverses se rejoignent. Ils rejettent les dogmes ultralibéraux qui ont fait la preuve de leur nuisance et prônent la relance. Ils plaident aussi pour un renforcement de la position de l’Etat et du facteur travail par rapport au facteur capital. Des économistes, des anciens patrons, des syndicalistes, des formations nouvelles à la fois politiques et sociales expriment un autre discours que le dogmatique « TINA » thatchérien. C’est autant de signes d’un profond changement. La balle est entre les mains du peuple grec.

C’est hautement symbolique que ce soit la Grèce, non seulement comme berceau de civilisation, mais aussi parce que c’est dans le pays des Hellènes que la Troïka a lancé son offensive et qu’elle risque de devoir se replier. C'est le retour à la cité antique, la polis, dit Manolis Glezos, le résistant grec qui a arraché le drapeau hitlérien de l’Acropole en 1941, « le premier résistant d’Europe » comme l’appelait de Gaulle. Il pousuit « Polis a donné polites, le citoyen, et politismos, la culture. Nous avons donné tout ça à l'Occident et qu'avons-nous reçu en échange ? : La police ! »

Avec Syriza, sans doute devra-t-elle se retirer.

Pierre Verhas - (publié antérieurement sur uranopole.over-blog.com le) 2 janvier