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« Nous demandons la fin de cette ingérence constante dans les obligations religieuses des citoyens issus des différentes communautés religieuses » lit-on dans un appel au boycott de l’Aid promu par de très nombreuses organisations musulmanes belges en 2015. Les relations entre Islam et Neutralité sont tendues.

Cette tension ne touche pas que la communauté musulmane. Elle pousse le Centre d’Action Laïque à revoir ses fondements et renvoie également au difficile positionnement de la Gauche face aux enjeux contemporains. Cette analyse tente une ébauche des grands débats.

Instrumentalisation d’une laïcité fantasmée

Les attentats de Paris et Copenhague ont rendu plus visible que jamais les principes de liberté d’expression et de laïcité. Ces valeurs qui sont des pierres angulaires de nos démocraties sont malheureusement souvent instrumentalisées à des fins de stigmatisation des personnes musulmanes et de justification de leur exclusion du champ social et politique. Confondant lutte historique contre le pouvoir de l’Église et enjeux contemporains au sein d'états laïques, certains justifient la discrimination et l’exclusion par la référence à « la » laïcité, faisant ressurgir l’ancien conflit, pourtant apaisé, entre cléricaux et anti-cléricaux.

Comme l'indique Prisca Robitzer, le principe de laïcité (dégagé du contexte d'émergence français) doit être analysé comme un processus dynamique, s'appliquant de diverses manières selon les territoires nationaux. Il s'agit d'un mode d'organisation politique promouvant l'égalité de traitement entre religions et la liberté de conscience des individus. Ce principe s’appuie sur la neutralité de l'état et la séparation entre le pouvoir religieux et temporel. Selon Jean Beaubérot, historien et sociologue français, il existe 6 mises en pratiques possibles de la laïcité : laïcité séparatiste, laïcité anticléricale, laïcité autoritaire, laïcité de foi civique, laïcité de reconnaissance  et laïcité de collaboration (celle-ci caractérise juridiquement notre système belge)[1]. Les États laïques balancent entre ces idéaux-types selon les périodes. Leur rapport à la sécularisation évolue donc avec le temps. Nous entreprendrons un travail plus approfondi sur la diversité des laïcités dans le courant de l’année.

Malheureusement, loin de considérer la diversité des mises en pratique de ce principe, certains n'y voit qu'une interprétation possible : une laïcité exclusive, discriminante et raciste.

Cette interprétation fermée de la laïcité, Jean Beaubérot la nomme « laïcité falsifiée », illustrant le tournant « à droite » qu’a entamé la laïcité en France. Selon lui, cette « nouvelle laïcité », basée sur une lecture biaisée de la loi de 1905[2], s’est parfaitement illustrée lors des débats autour du voile à l’école en 2004. Alors que la laïcité originelle signifie que l’État entretienne un rapport identique à toutes les religions, ce qui impliquerait qu’il autorise le port de signes de religiosité tant que ces derniers n’affectent pas l’ordre public et n’entravent pas la liberté d’autrui, la « nouvelle laïcité » s’ingère de façon démesurée dans la vie religieuse des citoyens, notamment via la régularisation de l’habillement des femmes musulmanes dans l’espace public. La loi de 2004 incarne cette conception falsifiée de la laïcité : elle interdit le port de signes religieux dans l’enseignement sans qu’aucune preuve  que ce signe religieux n’affecte l’ordre public ou n’entrave la liberté d’autrui.

Certains auteurs expliquent la vague actuelle, préférant une interprétation fermée de la laïcité, par la fusion entre les mouvements catholique et laïque. Cette fusion aurait pour objectif, selon Jean Beaubérot, de diminuer les droits de l’individu sortant du modèle type « européo-chrétien ». Cette nouvelle alliance écarterait en premier lieu les personnes de confession musulmane. Le monde laïque plongerait dans un certain conservatisme social : « De fer de lance d’une révolution progressiste et anticléricale, le monde laïque s’est transformé en défenseur, en conservateur, des acquis de la société laïcisée », termine Caroline Sägesser. Ce qui pose un réel problème de positionnement aux mouvements de gauche (cf. plus bas). 

Il convient d'appuyer ici Prisca Robitzer et de rappeler d’abord qu'il existe, sous le principe de laïcité, une grande diversité de rapports entre État et religion et qu’ensuite ce principe s'attache, non pas à diviser, mais au contraire à unir en garantissant la protection des libertés et l'égalité de tous les citoyens. « La laïcité, comme un trait de la démocratie moderne, doit (re)devenir le bien commun des croyants, des athées et des agnostiques. Elle doit élargir le champ des libertés alors qu’elle est trop souvent invoquée pour le restreindre » termine Henri Goldman.

Laïcité en Belgique : La neutralité

En Belgique, si le combat contre l'hégémonie de l’Église catholique n'a pas abouti à une séparation aussi stricte qu'en France, le principe de laïcité reste souvent également compris à travers la lutte historique anticléricale. Cette interprétation de laïcité comme combat contre le pouvoir ecclésiastique pose de réelles questions aux mouvements de gauche qui ont formé leur identité autour d’idées progressistes et anticléricales. Le mouvement antiracisme se trouve d’ailleurs divisé sur la question : comment mettre en pratique le principe de laïcité en Belgique aujourd’hui ? Peut-on envisager une position commune de tous les acteurs du mouvement antiracisme ? Dans les faits, cela revient à répondre entre autre à la question épineuse du port de signes religieux dans les institutions publiques : certains prônent la neutralité d’apparence, d’autres la neutralité des services.

Ces deux positions illustrent deux interprétations de la philosophie laïque en Belgique, soit deux interprétation du principe juridique de neutralité[3] : l’une inspirée du modèle républicain français, l’autre du modèle multiculturaliste anglo-saxon.

Neutralité dite exclusive : les tenants de cette interprétation réclament l’interdiction de tout signe religieux ou philosophique ostentatoire dans les institutions publiques. En Belgique, le Réseau d’action pour la promotion d’un Etat laïque (Rappel) illustre un des acteurs de ce courant.

Neutralité dite inclusive : les tenants de cette interprétation se disent beaucoup plus ouverts sur les particularismes culturels. Tant que les libertés et droits fondamentaux sont respectés, les individus peuvent pratiquer et montrer librement leurs convictions.

Les premiers qualifient les seconds de laxistes, donnant l’opportunité aux fanatiques religieux et aux terroristes d’exercer en toute impunité sous couvert de relativisme culturel[4] ; les seconds qualifient les premiers de racistes, se servant de grands principes pour discriminer certaines minorités.

Derrière cette opposition se cache un réel débat : la question de la démarcation entre privé et public. Le « privé » illustre-t-il ce qui doit être caché aux yeux du monde, cloisonné entre les murs familiaux ? Le « privé » englobe-t-il le choix vestimentaire ? La Belgique reconnait l’utilité sociale des cultes et donc leur utilité publique. Dans ce sens, la religion ne ferait-elle pas partie de l’espace public, laissant aux croyants la possibilité de s’y montrer attaché ? Enfin, l’espace public appartient-il à tous ou à personne ?

Ces différentes interprétations de la neutralité belge découlent du manque de clarté quant à l’application de ce principe dans la vie quotidienne. On peut lire par exemple à l’article 24 de notre constitution : « La communauté organise un enseignement qui est neutre. La neutralité implique notamment le respect des conceptions philosophiques, idéologiques ou religieuses des parents et des élèves ». Cependant, comme le fait remarquer Maryam Benayad[5], il n’existe pas de règles de mises en pratique du respect et le champ est libre à l’interprétation personnelle. L’Etat a toutefois le devoir d’organiser des cours de religion (d’un des 6 cultes reconnus) dans les écoles publiques si au moins un parent le demande.

Si la mise en pratique du principe de neutralité dans les institutions publiques prête à débats, c’est est différent lorsque l’on se penche sur la neutralité en matière de cultes. La Belgique en effet entretient un rapport bien différent aux cultes de notre voisin français. Pour reprendre la catégorisation de Beaubérot, notre Etat suit officiellement le principe de laïcité de collaboration : les cultes sont reconnus pour leur utilité sociale[6]. Cela entraine de nombreux avantages financiers (rémunération des ministres du culte, financement des bâtiments, institutionnalisation de formations pour ces ministres,…) ainsi que l’octroi d’une émission cultuelle sur les ondes publiques.

La neutralité de notre Etat oblige ce dernier à encadrer la pratique religieuse des citoyens belges et non à exclure tout signe de religiosité des espaces et institutions publiques. L’Etat ne peut pas intervenir dans l’organisation interne des cultes. Il se limite à offrir le cadre institutionnel. L’État doit toutefois intervenir si un acteur relié au culte énonce en public et dans le cadre de sa fonction, des propos allant à l’encontre du gouvernement, d’une loi, d’un arrêté royal ou tout autre acte de l’autorité publique (art. 268 du Code Pénal). 

Malheureusement il existe encore des inégalités de traitements entre les différents cultes reconnus de Belgique, le culte catholique bénéficiant d’une proportion importante du budget (sans que cela ne corresponde au nombre de pratiquants). Symboliquement également, les incursions du culte catholique dans l’espace public choquent moins que celles opérées par le culte musulman…

Bien comprendre les spécificités de la mise en pratique de la laïcité en Belgique sera l’objectif du groupe de travail pour décembre 2015.

Une laïcité douce ?

Conscient de l’instrumentalisation du principe de laïcité à des fins racistes en Belgique, le Centre d’Action Laïque tente une campagne de réhabilitation du concept qui est au cœur de sa raison sociale. Sont produits par exemple de courts films, intitulés « Libres Ensemble », traitant de questions d’actualité sous l’angle de la laïcité. Regarder le monde avec les lunettes laïques est synonyme, pour Henri Bartholomeeusen, président du CAL, d’une vision du monde raisonnée, cherchant le « goût de la preuve, de l’explication, et, par-dessus tout, du respect de la personne ». Il pose de la sorte côte à côte principe de laïcité et libre examen. On peut lire sur leur site internet :

« La laicité c’est… un projet de société émancipatrice, solidaire, responsable, respectueuse des différences. Une société dans laquelle il fait bon vivre. Une société tournée vers le progrès, dans laquelle tous les citoyens sont traités avec un souci d'égalité, ont les mêmes droits, et les mêmes responsabilités, quels que soient leur sexe, leur origine ou leur culture.

Philosophiquement, la laïcité est avant tout la liberté de penser et d'agir selon sa conscience, sans s'aligner sur une doctrine, un dogme ou une croyance. Elle encourage une conception de vie qui s'inspire de l'expérience humaine et des acquis de la science. Elle privilégie la raison sur la croyanc »

Bien loin d’eux donc l’interprétation d’une laïcité qui divise : la laïcité serait selon eux une approche raisonnée du social, œuvrant pour l’émancipation de tous. Cette campagne fera l’objet d’une analyse plus poussée en début d’année 2016.

La Gauche : une position délicate

Je le mentionnais plus haut, si la droite et l’extrême droite ont opté pour une interprétation exclusive du principe de laïcité, offrant un outil efficace pour stigmatiser l’Autre, principalement musulman, les mouvements de gauche se trouvent tiraillés sur la question : Comment défendre une conception inclusive de la laïcité, valeur traditionnelle de la gauche, reconnaissant le droit aux minorités de pratiquer un culte différemment, alors que le combat contre l’Eglise a illustré pendant longtemps le mouvement progressiste ? Il semble que la gauche se trouve tiraillée entre son combat historique et les enjeux contemporains.

Henri Goldman explique avec justesse cette tension : « la gauche européenne, dit-il, est intimement persuadée, à partir de sa propre expérience, que le recul de la foi religieuse est le corollaire automatique du progrès scientifique et des luttes sociales pour un « bonheur terrestre » et qu’elle s’inscrit sur le chemin fléché de l’émancipation ». Or cette gauche continue-t-il, « est ce lieu où, par définition, les opprimés et les dominés doivent pouvoir se sentir chez eux. Ceci concerne tout particulièrement les diverses minorités au sein des classes populaires – dont la population musulmane –, dominées à de multiples niveaux ». Ainsi, la conclusion pour lui est sans équivoque, « une gauche inclusive, largement ouverte à cette diversité-là, est une des conditions d’une société inclusive respectueuse de la dignité de tous et de toutes ».

La Gauche doit aujourd’hui répondre à la question qui la déchire : comment unir la lutte pour l’émancipation des citoyens tout en reconnaissant le droit de ces derniers à vivre selon une certaine éthique personnelle ? Comment réconcilier lutte sociale et religion ?

Pax Christi - 19 octobre 2015

 

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Ce texte présentait les grands débats qui seront abordés cette année 2015-2016 au sein du groupe de travail « Neutralité et Islam » de Pax Christi. Toute personne qui souhaite intégrer la dynamique de travail peut contacter Anne-Claire Orban, Dit e-mailadres wordt beveiligd tegen spambots. JavaScript dient ingeschakeld te zijn om het te bekijken. pour plus d’informations.

Littérature utilisée

Beaubérot Jean et Micheline Milot (2011). Laicité sans frontières, Paris : Seuil.

Beaubérot Jean (2012). La laïcité falsifiée, Paris : La Découverte.

Goldman Henri. « Pour une démocratie inclusive », dans Politique, n° HS22, septembre 2013

Torrekens Corinne. « Le pluralisme religieux en Belgique », dans Diversité Canadienne, Volume 4 :3, automne 2005, pp. 56-58.

Robitzer Prisca. « Laicité et réconciliation : enjeux et limites », dans La Revue Réformée, en ligne.

Sâgesser Caroline. « La fracture du monde laïque », dans Politique, n°66, septembre-octobre 2010.

Notes

[1]Je renvois le lecteur au texte de l'auteur : « Laïcité et réconciliation : enjeux et limites » cité dans la bibliographie pour plus d'informations sur les mises en pratique du principe de laïcité.

[2] La loi de 1905 organise les rapports en l’Etat français et les institutions religieuses, remplaçant le régime de concordat, en place depuis la révolution française. Elle est reconnue comme instituant une laïcité douce, sans excès. Elle garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes mais ne reconnait ni subventionne aucun de ces derniers.

[3] La Belgique suit la philosophie laïque au sens donné par Prisca Robitzer. Cette philosophie s’incarne juridiquement et institutionnellement par notre principe de neutralité.

[4] Voire notamment l’article publié par Rappel à propos du « Dangereux relativisme culturel d’une partie de la gauche » : http://www.le-rappel.be/a-lire/165-le-dangereux-relativisme-culturel-dune-partie-de-la-gauche

[5] Dans son analyse « La neutralité, un concept mis à toutes les sauces », voir bibiographie.

[6] 6 cultes sont reconnus aujourd’hui en Belgique : catholique, islamique, protestant, judaïque, orthodoxe et anglican. La laïcité organisée est reconnue depuis 1993.  

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