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Le terrible attentat de Charlottesville montre une fois encore que la « bête » n'est pas morte. Elle s'est manifestée dimanche 13 août par un jeune gamin endoctriné qui a lancé à plein tube sa grosse bagnole sur une foule de manifestants antiracistes tuant une jeune femme et blessant sérieusement une vingtaine de personnes.

 

Ces manifestants protestaient contre un rassemblement d'activistes néonazis, du Ku Klux Klan et de « suprématistes » blancs. La vision binaire de ces gens est aberrante : la race blanche est souillée par les gens de toutes origines et particulièrement les Noirs qui viennent polluer l'Amérique ! Et pour cela, il faut en éliminer un maximum !

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La voiture du suprémaciste fonçant sur la foule des militants antiracistes à Charlottesville

 

En Europe, cela serait purement et simplement interdit. Aux USA, au nom de la liberté d'expression, on laisse faire. Ce sont deux visions différentes. Noam Chomsky, par exemple, est partisan de la liberté totale d'expression. Il y a là un débat important qu'il faudra aborder de front.

 

Le plus important cependant, c'est la résurgence du fascisme un peu partout et sous des aspects différents. Là aussi, si on veut lutter efficacement contre ce fléau, il convient de l'analyser sur la base des faits. Il faut absolument éviter de tomber dans le piège du fameux « point Godwin », qui consiste, en gros, à voir le fascisme partout et à traiter tout contradicteur de « fasciste ». Pour certains, une caméra de surveillance, un policier un peu brutal, des lois par trop répressives, les restrictions de certains droits sont le signe d'une renaissance du fascisme. Ce n'est pas tout à fait faux, mais il est cependant réducteur de voir l'évolution totalitaire de la société « libérale » comme étant simplement un nouveau fascisme.

 

Dans un essai datant de 1997 intitulé « Cinque scritti morali » écrit par feu Umberto Eco, il y a un des textes intitulé « Reconnaître le fascisme » (Grasset, 2010 réédité en 2017), l'auteur met en garde : « On peut jouer au fascisme de mille façons, sans que jamais le nom du jeu ne change. » Il convient donc de définir ce qu'est réellement le fascisme, d'autant plus qu'il se présente sous plusieurs visages.

 

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Umberto Eco montre comment on peut identifier le fascisme dans les actes et les discours.

 

Ainsi, il n'y a en apparence aucun point commun entre les brutes épaisses débordant de haine de Charlottesville et les technocrates cravatés qui, derrière leurs bureaux et leurs ordinateurs, construisent une société où la seule liberté sera celle du plus nanti.

 

Pour l'auteur du « Nom de la rose » :

 

« Il serait difficile de les [les fascistes] voir revenir sous la même forme dans des circonstances historiques différentes. »

 

Et il ajoute :

 

« ... même si je suis préoccupé par les différents mouvements pronazis actifs çà et là en Europe, je ne pense pas que le nazisme, dans sa forme originale, soit en passe de renaître en tant que mouvement capable d'impliquer une nation entière. »

 

Selon Umberto Eco – et cela va faire hurler – les partis « parlementaires » d'extrême-droite actuels comme Alleanza Nazionale, héritière du MSI, lui-même renaissance du parti fasciste après guerre, ne sont pas fascistes. On pourrait dire de même du Front national français.

 

À la réflexion, ce n'est pas faux. Ces deux partis qui ont incontestablement un background fascisant, cherchent à conquérir le pouvoir par la voie parlementaire. L'Alliance nationale y a à peine réussi en Italie en servant d'appoint à Forza Italia de Silvio Berlusconi. Gianfranco Fini, le leader d'Alliance nationale fut président de la Chambre et son parti fut carrément « pompé » par celui de Berlusconi. Quant au Front national, s'il a réussi à conquérir quelques villes moyennes en France, il s'est montré incapable de diriger un département et une région. Il s'est lamentablement planté lors des dernières élections présidentielles, même s'il a engrangé 11 millions de voix, soit un vote exprimé sur quatre. Et il a fait difficilement monter huit députés à l'Assemblée nationale française.

 

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Gianfranco Fini, leader d'Allienza Nazionale a fini par rejoindre Berlusconi avant d'être balayé.

 

Le véritable danger de ces formations apparemment formées de notables « dédiabolisés » est l'idéologie qu'elles diffusent. Elles se servent de la frustration des citoyens due entre autres aux politiques d'austérité provoquant chômage et pauvreté pour répandre des idées nauséabondes sur la base du « bouc émissaire » : le coupable, c'est l'étranger. Un autre coupable, c'est « Bruxelles », autrement dit l'Union européenne. Un troisième coupable, c'est la « mondialisation », etc., etc. En gros, c'est « l'autre » ! La seule réponse est donc de se débarrasser de « l'autre » et tout ira bien mieux. Un peu court ! Mais, ces partis ont un art consommé de la propagande et de la provocation, ce qui a l'heur de plaire. En effet, leurs électeurs ne sont pas pour la plupart des adeptes du « fascisme », mais cela leur fait du bien de taper sur l'establishment – un autre coupable – qui est à la source de tous leurs maux.

 

C'est la pauvreté de la « pensée » fasciste que démontre Umberto Eco. Et cela va encore faire hurler !

 

« Il ne fait aucun doute que le fascisme était une dictature, mais il n'était pas complètement totalitaire, non point à cause d'une sorte de tiédeur, mais en raison de la faiblesse philosophique de son idéologie. Contrairement à ce que l'on pense en général, le fascisme italien n'avait pas une philosophie propre.(...) Mussolini n'avait aucune philosophie : il avait une rhétorique. »

 

Le « Duce » était selon Eco un opportuniste. Il a commencé comme athée militant pour aboutir à la signature du Concordat avec l'Eglise. Par après, il invoqua Dieu dans ses discours.

 

 

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Le dictateur fasciste Benito Mussolini était un opportuniste !

 

Une caractéristique du fascisme italien, c'est « une liturgie militaire, un folklore, voire une mode vestimentaire. » Et c'est vrai : cela est commun à tous les groupes ou groupuscules fascisants de se promener en uniforme, d'organiser des défilés avec musiques militaires, de porter des étendards frappés de symboles rappelant la svastika hitlérienne.

 

C'est d'ailleurs ce qu'il vient de se passer à Charlottesville. Cela ne signifie pas pour autant qu'il s'agit d'un rassemblement cohérent. Les seuls points communs entre ces groupuscules sont le rejet de l'autre et la nostalgie des passés sudiste et nazi. Et cela s'est exprimé de manière dramatique par un individu drogué à ces abominations.

 

 

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Les racistes rassemblés à Charlottesville : folklore, drapeaux, uniformes...

 

Pour Umberto Eco : « Le fascisme était un totalitarisme fuzzy (1). Le fascisme n'avait rien d'une idéologie monolithique, c'était un collage de diverses idées politiques et philosophiques, fourmillant de contradictions. »

 

Par exemple, le parti fasciste se proclamait révolutionnaire et était financé par les riches propriétaires terriens qui craignaient le communisme. Il avait formé une milice, mais travaillait avec l'armée royale, etc.

 

Le nazisme, lui, était monolithique. Il n'y avait qu'une pensée nazie, qu'un art nazi, qu'une littérature nazie, etc. Le fascisme, en matière d'art, était relativement pluraliste.

 

« D'Annunzio était le poète national, un dandy que l'Allemagne ou la Russie auraient envoyé au peloton d'exécution. Il fut élevé au rang de Chantre du régime pour son nationalisme, son culte de l'héroïsme – mâtiné de fortes doses de décadentisme français. » On croirait lire le portrait de Zemmour !

 

Eco ajoute cependant :

 

« Cela ne signifie pas que le fascisme italien était tolérant. Gramsci fut jeté en prison jusqu'à sa mort, les frères Rosselli furent assassinés, la liberté de la presse supprimée, les syndicats démantelés, les dissidents politiques relégués sur des îles lointaines, le pouvoir législatif devint une pure fiction, l'exécutif (...) promulguait directement les nouvelles lois, parmi lesquelles celles de la défense des races (appui formel italien à l'Holocauste). »

 

L'image incohérente du fascisme italien était intolérante. « ... il s'agissait d'une désarticulation ordonnée d'une confusion structurée. Le fascisme était philosophiquement disloqué, mais d'un point de vue émotif il était fermement enchâssé dans certains archétypes. »

 

En conclusion de sa thèse, Umberto Eco écrit :

 

« Le terme fascisme s'adapte à tout parce que même si l'on élimine d'un régime fasciste un ou plusieurs aspects, il sera toujours possible de le reconnaître comme fasciste. Enlevez-lui l'impérialisme et vous aurez Franco ou Salazar ; enlevez le colonialisme et vous aurez le fascisme balkanique. Ajoutez au fascisme un anticapitalisme radical (...) et vous aurez Ezra pound. Ajoutez le culte de la mythologie celte et le mysticisme du Graal (...) et vous aurez l'un des gourous fascistes les plus respectés, Julius Evola. »

 

Alors, comment reconnaître le fascisme aujourd'hui ?

Umberto Eco établit une liste des caractéristiques de ce qu'il appelle « l'Ur-fascisme », c'est-à-dire « le fascisme primitif et éternel ».

 

La première, c'est le culte de la tradition qui bien entendu date d'avant le fascisme, mais qui a toujours fait partie de la réaction dès l'antiquité. Ainsi, la pensée contre-révolutionnaire catholique pendant la Révolution française. À cela s'ajoute le syncrétisme qui n'est pas seulement la combinaison de différentes formes de croyances et de pratiques. Tous les messages originaux portent en eux des germes de sagesse et s'ils évoquent des choses différentes, c'est parce qu'ils se réfèrent de façon allégorique à une vérité primitive.

 

Cela amène de curieuses combinaisons : « Julius Evola, la source théorique essentielle de la nouvelle droite italienne, mélangeait le Graal avec le Protocole des Sages de Sion, l'alchimie avec le Saint-Empire romain germanique. Le fait qu'une partie de la droite italienne ait récemment élargi son syllabus en réunissant De Maistre, Guénon et Gramsci, est une preuve lumineuse de syncrétisme. »

 

Il faut vraiment une boussole pour essayer de s'y retrouver dans le labyrinthe de la nouvelle droite !

 

La seconde caractéristique est le refus du modernisme, même si les nazis et les fascistes adoraient les nouvelles technologies. Sous ce couvert, les nazis, par exemple, vénéraient le « Blut und Boden » (le sang et la terre). Le refus du monde moderne était camouflé sous la condamnation du mode de vie capitaliste. Mais ce sont surtout les Lumières qui sont rejetées par l'Ur-fascisme.

 

En troisième lieu, il y a l'irrationalisme. C'est le culte de l'action pour l'action, de l'intellectualisme, de la culture qui peut être assimilée à une attitude critique.

 

Le quatrième point est le refus de la critique. Elle est assimilée à de la trahison pour l'Ur-fascisme.

 

Le cinquième est le refus du désaccord, donc de la différence. Ainsi, l'Ur-fascisme est raciste par définition.

 

L'Ur-fascisme naît de la frustration notamment des classes moyennes et y puise ses troupes.

 

L'Ur-fascisme est nationaliste en ce sens qu'il voit dans la nation l'unité qu'il prône en rassemblant tous ceux qui y vivent.

 

L'Ur-fascisme doit avoir un ennemi supérieur matériellement, mais inférieur en esprit. Paradoxalement, il est ainsi appelé à perdre les guerres.

 

Il n'y a pas de lutte pour la vie, mais de vie pour la lutte. Le pacifisme est donc considéré comme favorisant l'ennemi et est donc une trahison.

 

L'Ur-fascisme est élitiste. Il prône un élitisme populaire et affiche un mépris pour les faibles. C'est le culte de la force.

 

Chacun doit dès lors être éduqué pour devenir un héros. « Le héros Ur-fasciste est impatient de mourir. Entre nous soit dit, dans son impatience, il lui arrive plus souvent de faire mourir les autres. »

 

Et le héros Ur-fasciste « transfère sa volonté de puissance sur des questions sexuelles. Là est l'origine du machisme. » Il est également un adversaire déclaré des minorités sexuelles, des LGBT ; bref, tous ceux qui sortent de la « normalité » fasciste.

 

L'Ur-fascisme se fonde sur que Eco appelle un populisme qualitatif. L'individu en tant que tel n'a pas de droits, mais « le peuple » est conçu comme une entité monolithique exprimant « la volonté commune ». Eco met en garde :

 

« Notre avenir voit se profiler un populisme qualitatif télé ou Internet, où la réponse émotive d'un groupe sélectionné de citoyens peut être prése « voix du peuple ». » Le parlementarisme est évidemment exclu et combattu.

 

Enfin, l'Ur-fascisme par la « novlangue », c'est-à-dire un lexique pauvre et une syntaxe élémentaire afin de limiter les instruments de raisonnement complexe.

 

En conclusion, l'auteur du « Pendule de Foucault » nous invite à détecter tous ces signes pour combattre une résurgence du fascisme.

 

Son analyse fine du fascisme du XXIe siècle ne doit pas cependant nous faire oublier que certaines caractéristiques de l'Ur-fascisme se retrouvent dans d'autres projets totalitaires.

 

Le refus de la critique, par exemple, qui peut parfois être assimilée à la « théorie du complot » ou au « populisme », voire dans certains cas à « l'antisémitisme » est donc rejetée sans autre forme de procès. Il y a des formes subtiles d'antiparlementarisme comme le recours à des pouvoirs spéciaux ou à des ordonnances. La mainmise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire s'accentue, la novlangue se répand notamment via Internet et les réseaux sociaux. Dans certains cas aussi, le pacifisme est considéré comme une tare : il est de bon ton d'approuver ou à tout le moins de ne pas critiquer la politique impérialiste occidentale au Moyen Orient.

 

L'Ur-fascisme n'est donc qu'un volet de l'entreprise totalitaire. George Orwell avait compris en pleine guerre froide au moment où l'hystérie maccarthyste sévissait aux USA et où l'anticommunisme le plus virulent était de mise en occident, que l'hydre totalitaire n'avait pas d'idéologie, que le pouvoir totalitaire est là pour le pouvoir totalitaire, autrement dit, aujourd'hui, l'élaboration du pouvoir absolu d'une minorité sur l'ensemble de l'humanité.

 

Pierre Verhas

 

(1) fuzzy est un terme de logique désignant un ensemble flou.