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Pour l’ensemble de la gauche, la Commune de Paris qui s’est déroulée du 18 mars au 28 mai 1871 est un événement historique de première importance. Elle a en effet profondément marqué l’histoire du mouvement ouvrier, non seulement français, mais mondial. En effet, elle a inspiré le meilleur et le pire. Karl Marx la prit comme exemple dans son ouvrage « La Guerre civile en France » publié en septembre 1871, quelques semaines à peine après la tragique « Semaine sanglante ». L’analyse qu’en fait l’historien allemand est très fine et a le mérite de placer la Commune dans le contexte de la lutte des classes. Mao Tse Toung, de son côté, en 1966, compara la meurtrière « révolution culturelle » chinoise à la Commune de Paris !

Aujourd’hui encore, à l’occasion de son 150e anniversaire, celle-ci suscite débats et polémiques. Chaque chapelle de gauche voulant la récupérer et ses ennemis la vitupérant, la Commune mérite mieux que ces déformations partisanes de l’histoire. C’est justement à un de ses anciens partisans passé au camp adverse que nous nous référons pour entamer le débat. Stéphane Courtois, professeur à l’ICES à Paris et directeur de la revue « Communisme », un ancien soixante-huitard émanant de la nébuleuse maoïste qui, comme tant d’autres, a troqué son col Mao contre la carte du Rotary, a publié dans « le Figaro » du 28 mai une longue analyse sur la Commune de Paris intitulée « au-delà des mythes ». Certes, la Commune a généré une mythologie, mais l’historien qui en est devenu son adversaire, ne doit pas le remplacer par une autre !

Courtois commence fort : « L’histoire de la Commune par les gauches pêche toujours par son point aveugle, l’ignorance volontaire d’une réalité centrale… » Volontaire ? On verra. Mais quelle est cette réalité ? C’est justement par un élan patriotique que la Commune est née ! Le peuple de Paris terrassé par la famine durant l’hiver 1870 et assiégé par les Prussiens s’opposa au gouvernement dit de « Défense nationale » de la IIIe République proclamée le 4 septembre 1870 à l’initiative de Gambetta succédant au IIe empire en déliquescence, signe un armistice où il accepta les exigences de Bismarck : l’Alsace et la Moselle furent cédées à l’Allemagne, une dette de guerre de 5 milliards de francs fut consentie. Une assemblée est élue au suffrage universel (pour les hommes) le 8 février 1871. Elle fut majoritairement composée de monarchistes et de bonapartistes et les députés républicains étaient divisés en plusieurs factions. Les capitulards étaient majoritaires. Aussi, les Parisiens s’emparèrent de canons disposés sur la Butte Montmartre destinés à défendre Paris contre une éventuelle offensive prussienne. L’Assemblée déménagea à Versailles ainsi que le gouvernement issu de ce scrutin dirigé par un vieux politicien bourgeois du nom d’Adolphe Thiers.

Thiers est un vieux politicien libéral et anticlérical né en 1797. Il aurait servi de modèle à Balzac pour son personnage Rastignac ! Il fut l’auteur d’une Histoire de la Révolution française. Il œuvra pour un régime stable après la chute de la Restauration en 1830. Il fut partisan d’une monarchie constitutionnelle, puis se rallia à la République après la Révolution de 1848. Il fut opposé au IIe Empire instauré par Napoléon III après le coup d’Etat de 1852. Il fut élu en 1863 à Paris où il fit partie de l’opposition libérale. Lors de la proclamation de la IIIe République, il fut nommé chef du pouvoir exécutif, c’est-à-dire à la fois président de la République et chef du gouvernement – autrement dit dictateur ! C’est lui qui négocia la capitulation avec Bismarck. Courtois dit entre autres de lui qu’il : « avait pour priorité d’affirmer l’autorité de l’Etat et de préserver l’unité nationale. » En clair, asseoir le pouvoir absolu de la bourgeoisie en France. Quant aux communards, il écrit : « A l’inverse, les activistes parisiens – exaltés par les souvenirs révolutionnaires et patriotiques de 1792-1794 (et les précédents de 1830 et 1848) – récusèrent le verdict du suffrage universel. Ils choisirent de combattre le gouvernement et l’Assemblée, jugés défaitistes, au risque de déclencher la guerre civile sous le regard amusé de l’ennemi. » Combattre un gouvernement élu n’ayant comme politique que la capitulation et l’installation d’un pouvoir destiné à écraser le peuple ne semble pas être illégitime. La France a d’ailleurs connu un épisode similaire en 1940 avec un certain Philippe Pétain ! Et la situation actuelle peut faire craindre l’instauration sous peu d’un régime fort à l’intérieur et faible à l’égard des puissances extérieures ! Mais n’épiloguons pas…

Stéphane Courtois présente la Commune comme à la fois isolée et impopulaire auprès des Parisiens. « Les partisans de la Commune la présentent comme l’expression de la volonté. Or, non seulement, Paris n’est pas la France, mais les élections du 26 mars 1871 au Conseil de la Commune ne mobilisèrent que 229 000 électeurs sur 482 000 inscrits, dans une ville qui comptait alors 1,82 millions d’habitants… » Certes, comme le dit l’historien Jacques Rougerie cité par Courtois : « Tout Paris n’était pas rouge ! ». En effet, une grande partie de la ville était constituée de quartiers bourgeois ! Les classes populaires, elles, se sont mobilisées pour la Commune et même une partie significative de la bourgeoisie. L’exemple des francs-maçons parisiens est notoire. Mais, selon Courtois qui se rappelle sans doute son passé maoïste, une grande partie des électeurs étaient « travaillés par la propagande révolutionnaire ». La Commune s’est déclenchée le 18 mars 1871 et les élections eurent lieu le 26 ! Un peu court pour faire une campagne de propagande !

Et puis, Stéphane Courtois oublie un épisode essentiel évoqué par Friedrich Engels dans son introduction au petit ouvrage de Karl Marx La guerre civile en France.

« Le 28 janvier 1871, Paris affamé capitulait. Mais avec des honneurs inconnus jusque-là dans l'histoire de la guerre. Les forts furent abandonnés, les fortifications désarmées, les armes de la ligne et de la garde mobile livrées, leurs soldats considérés comme prisonniers de guerre. Mais la garde nationale conserva ses armes et ses canons et ne se mit que sur un pied d'armistice avec les vainqueurs. Et ceux-ci même n'osèrent pas faire dans Paris une entrée triomphale. Ils ne se risquèrent à occuper qu'un petit coin de Paris, et encore un coin plein de parcs publics, et cela pour quelques jours seulement ! Et pendant ce temps, ces vainqueurs qui durant 131 jours avaient assiégé Paris, furent assiégés eux-mêmes par les ouvriers parisiens en armes qui veillaient avec soin à ce qu'aucun « Prussien » ne dépassât les étroites limites du coin abandonné à l'envahisseur. Tant était grand le respect qu'inspiraient les ouvriers parisiens à l'armée devant laquelle toutes les troupes de l'empire avaient déposé les armes ; et les Junkers prussiens, qui étaient venus assouvir leur vengeance au foyer de la révolution, durent s'arrêter avec déférence devant cette même révolution armée et lui présenter les armes ! »

Non. Stéphane Courtois ne note pas que la Commune fut un soulèvement populaire spontané face au déshonneur imposé par le gouvernement de Monsieur Thiers et les perspectives d’un avenir encore plus sombre après la capitulation. Quant à la France, certes Paris n’est pas la France comme il écrit, mais il y eut des Communes dans d’autres villes comme Narbonne, par exemple, qui n’était pas menacée par les Prussiens, mais dont la population était scandaleusement exploitée par les grands propriétaires viticoles.

Il est vrai aussi que tout le monde du progrès en France et à Paris en particulier – on dirait aujourd’hui les « bobos » - n’était pas favorable à la Commune, notamment de grands écrivains comme Emile Zola et Georges Sand. Courtois cite cette dernière qui écrivit dans le journal Le Temps – l’ancêtre du journal « Le Monde » - le 3 octobre 1871 : « Le mouvement a été organisé par des hommes déjà inscrits dans les rangs de la bourgeoisie et n’appartenant plus aux habitudes et aux nécessités du prolétariat. Ces hommes ont été mus par la haine, l’ambition déçue, le patriotisme mal entendu, le fanatisme sans idéal, la niaiserie du sentiment ou même la méchanceté naturelle – il y a eu de tout cela chez eux, et même certains points d’honneur de doctrine qui n’ont pas voulu reculer devant le danger. » Que dire ? Sinon que la peur sue de ce texte ! Il est bien plus aisé d’écrire des idées révolutionnaires dans le confort de son salon que de monter aux barricades pour les défendre ! Car, Georges Sand le reconnaît, certains « bourgeois » sont allés jusqu’au bout de leur engagement !

Il n’empêche que la Garde nationale fut renforcée – certes, mal organisée et indisciplinée – mais le sentiment patriotique fut incontestable. Courtois le reconnaît, mais il est par ailleurs mesquin en affirmant que « nombre d’autres [volontaires] n’avaient rejoint la Garde nationale que pour toucher la solde de 1,50 franc par jour. ». Et alors ? Allier patriotisme et intérêt légitime en une période de grave disette, est-ce interdit ?

Cependant, l’originalité de la Commune est la combinaison entre la défense de Paris et l’introduction de profondes réformes sociales et institutionnelles. Mais tout cela se déroula dans la confusion. On instaura l’instruction pour tous les enfants, la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Comme l’écrit Jacques Rougerie dans « La Commune et les Communards » : « Le communard est un citoyen, citoyen de la bonne, de la vraie République qui est inséparablement démocratique et sociale. » Certes, mais toutes ces réformes furent impossibles à mettre en œuvre tant le désordre régnait. Un haut fonctionnaire de la Commune, Jules Andrieu écrivit : « Si le mouvement a été si mal conduit du 18 mars au 28 mai, c’est qu’il eut pour chefs des hommes qui, sauf de rares exceptions, n’ont jamais rêvé semblable situation ; ils ont été pour la plupart ahuris ou affolés. (…) La Commune avait besoin d’administrateurs ; elle regorgeait de gouvernants. (…) La Commune a été violente et faible. Elle devait être radicale et forte. »

Rougerie ajoute : « Les hommes de 1871 eurent, pour quelques-uns, l’immense ambition – ou l’extraordinaire illusion – d’en finir avec le vieux monde, de réaliser enfin le rêve d’une humanité réconciliée. »

Cependant, il ne faut pas oublier le rôle majeur de quelques vrais révolutionnaires de la Commune dont Louise Michel. Comme l’écrit Rougerie : « En 1871, les femmes ont été spécialement actives, cantinières, ambulancières. Il y avait plusieurs clubs féminins ou à majorité féminine… » Louise Michel, institutrice, ne fréquentait pas les clubs. Elle agissait pour instaurer l’égalité entre les femmes et les hommes. Son destin fut exceptionnel. Nous aurons l’occasion d’en reparler. Notons que, grâce à elle, la Commune joua un rôle fondamental dans le mouvement d’émancipation des femmes.

Le rêve ne dura pas et se transforma en un épouvantable cauchemar. La Garde nationale avait tenté de marcher sur Versailles les 2 et 3 avril 1871. Ce fut une humiliante défaite. Il est vrai que Thiers avait imploré Bismarck pour qu’il libère des centaines de prisonniers français pour rejoindre les unités de l’armée postées à Versailles. Il lui fallait aussi se procurer les armes et les équipements nécessaires qui furent financés avec une partie de l’or de la Banque de France à Paris que les communards avaient laissé transférer à Versailles !

La fin était donc programmée. Ce fut la Semaine sanglante où la répression fut impitoyable à l’égard des Communards qui résistèrent héroïquement mais en vain. Il y eut des milliers de morts fusillés sommairement sans jugement. Les Communards aussi avaient tué des otages, mais ce n’est pas en proportion avec les massacres perpétrés avec les Versaillais. Mais, peu importe ! Comme l’écrit Michèle Rudin dans son ouvrage la « Semaine sanglante » (Libertalia, Paris, 2021) : « Il ne s’agit pas de se jeter des crimes et des cadavres à la tête, mais de considérer ces êtres humains avec respect, il ne faut pas les laisser disparaître encore une fois. »Les massacres de la Semaine sanglante du 21 mai au 

« Non, non, Nicolas, la Commune n’est pas morte ! » dit une chanson. Contrairement à ce que Stéphane Courtois affirme, si la Commune fut un échec sanglant – il est vrai que la gauche a un art consommé de commémorer ses défaites – elle laisse une trace indélébile dans les mémoires. Bon nombre des réformes proclamées par les Communards entre le 18 mars et le 28 mai 1871 à Paris ont été mises en œuvre par après, bien que certaines soient aujourd’hui menacées. Cependant, qu’on le veuille ou non, l’esprit de la Commue de Paris demeure à travers le monde. C’est en cela qu’elle est toujours vivante !

Pierre Verhas

Source: https://uranopole.over-blog.com/2021/05/realites-de-la-commune-de-paris.html