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Position politique sur le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE)
Plateforme commerce juste et développement durable
6 mars 2020

Le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) est un accord multilatéral, entré en vigueur en 1998, qui établit un cadre pour le commerce et l’investissement dans le domaine de l’énergie entre 53 parties contractantes. L’Union européenne (UE) et la quasi-totalité de ses Etats membres, dont la Belgique, y sont parties prenantes. À l’origine, l’idée de ce traité était de sécuriser l’approvisionnement énergétique de l’Europe occidentale, dans le contexte de la transition post-Guerre froide. Ses dispositions les plus importantes concernent le commerce des matières et produits énergétiques, leur transit et le règlement des différends sur les investissements.

Ce traité donne ainsi le pouvoir aux industriels du secteur de l’énergie et aux fonds d’investissement privés de poursuivre ces Etats devant des tribunaux d’arbitrage « ISDS » s’ils s’estiment lésés directement ou indirectement via, par exemple, une réglementation relative à l’exploitation des énergies fossiles. Ils peuvent ainsi obtenir, au détriment des populations des Etats ciblés, jusqu’à plusieurs milliards d’euros de compensations sur leurs profits futurs escomptés, autant d’argent public nécessaire au financement des énergies renouvelables et des mesures de transition socialement justes.

Le TCE a la particularité d’être le traité de protection des investissements qui est le plus utilisé devant les tribunaux d’arbitrage. Rien que sur les cinq dernières années, on dénombre plus de 75 plaintes introduites contre des Etats ayant adopté des législations visant à interdire le forage pétrolier près des côtes, les centrales à charbon, à stopper la production de l’énergie nucléaire ou encore baisser le prix de l’électricité pour la population . L’UE en tant qu’organisation est également visée par plusieurs procédures d’arbitrage .

En raison de changements politiques, climatiques, sociaux et économiques, la situation a fortement évolué depuis l’entrée en vigueur de ce traité il y a plus de vingt ans. Le développement d’une politique de transition énergétique socialement juste constitue aujourd’hui une des grandes priorités politiques pour les Etats qui se sont engagés à respecter des objectifs climatiques dans le cadre de l’ONU avec la ratification de l’Accord de Paris sur le changement climatique et l’adoption des Objectifs de développement durable, en particulier la cible 7.2 visant à « accroître nettement la part de l’énergie renouvelable dans le bouquet énergétique mondial » tout en promouvant la cible 8 travail décent et la cible 10 de lutte contre les inégalités, ainsi que dans le cadre de l’UE avec notamment le Green Deal dont l’objectif est de réduire les émissions européennes de gaz à effet de serre de 50 à 55% d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

Nous sommes convaincus que ces engagements climatiques ne peuvent pas être atteints tant que le TCE ne sera pas fondamentalement transformé afin d’en faire un outil politique et juridique au service d’une transition énergétique socialement juste. Or, le périmètre actuel des négociations et les lignes directrices qui ont été données par les Etats membres de l’UE à la Commission européenne pour mener ces négociations ne permettent absolument pas de rentre ce traité compatible avec l’Accord de Paris sur le climat.

Nous relevons sept points qui sont particulièrement problématiques du point de vue de la justice sociale et environnementale.

1. Le TCE protège notamment dans sa partie III les investissements dans les énergies fossiles et il est utilisé pour bloquer la nécessaire transition énergétique. L’Italie a, par exemple, été poursuivie devant un tribunal d’arbitrage pour avoir interdit le forage pétrolier et gazier près de ses côtes. 350 millions d’euros de compensation étaient réclamés à l’Italie par l’entreprise Rockhopper. En réalité, les montants en jeu sont tellement importants que la menace de recours à l’arbitrage suffit à faire plier les Etats. C’est le cas notamment de la France qui prévoyait initialement la non-prolongation des concessions pétrolières dans son projet de loi de 2018. Mais ce projet a finalement été amendé suite à une menace d’arbitrage vidant ainsi le texte législatif de sa substance. On assiste en 2019 à une déferlante de menaces. A titre d’exemple, les Pays-Bas sont actuellement la cible de menaces d’arbitrage, notamment de l’entreprise Uniper suite au dépôt d’un projet de loi interdisant les centrales à charbon d’ici 2030.

2. Les montants payés par les Etats, dans le cadre d’arbitrages liés à ce traité, représentent autant d’argent public qui pourrait servir à financer la transition sociale et écologique. Plus de 51,6 milliards d’euros ont déjà été payés par les Etats à travers les 128 cas connus . Ceci, sans compter les arrangements « à l’amiable » conclus entre les Etats et les entreprises suite aux menaces de recours devant des tribunaux d’arbitrage, et qui impliquent dans la majorité des cas une révision de la législation et/ou des compensations négociées.

3. Le traité constitue un obstacle au soutien des énergies renouvelables par les pouvoirs publics. En effet, son article 10 ne permet pas aux Etats de favoriser un certain type d’énergies au motif que cela constituerait une discrimination, un argument qu’utilisent les investisseurs privés devant les tribunaux d’arbitrage pour attaquer les Etats.

4. Le traité est utilisé par les investisseurs privés pour remettre en cause les normes environnementales. A titre d’exemple, l’entreprise Vattenfall a poursuivi, en 2009, l’Etat allemand devant un tribunal d’arbitrage en lui réclamant 1,4 milliard d’euros. Ce différend s’est soldé par la décision de l’Allemagne d’abaisser ses normes environnementales pour les centrales à charbon . Soulignons que la même entreprise a poursuivi une nouvelle fois l’Allemagne en lui réclamant 6,1 milliards d’euros au motif que les pouvoirs publics ont accéléré leur plan de sortie de nucléaire suite à la catastrophe nucléaire de Fukushima au Japon.

5. Le traité peut être utilisé pour remettre en cause une législation sociale visant à faire baisser le prix de l’électricité ou à constituer un pôle public de l’énergie. A titre d’exemple, la Hongrie a été poursuivie suite à une loi faisant baisser la facture d’électricité pour sa population .

6. Le traité instaure une justice parallèle à celle des Etats en permettant aux entreprises de poursuivre directement un Etat ou une organisation partie (comme l’UE) devant un tribunal d’arbitrage ISDS, contrairement à n’importe quel citoyen qui doit d’abord saisir les tribunaux nationaux avant d’aller devant un tribunal international. Cette justice d’exception, dénoncée par la Plateforme Commerce Juste et Durable tout comme par près de 847 000 citoyen.ne.es en Europe , bénéficie très largement aux grands groupes privés puisque 94,5 % de la somme des condamnations connues ont été accordés à des entreprises dont le revenu annuel s’élève à au moins 1 milliard de dollars ou à des individus dont la fortune nette est de plus de 100 millions de dollars . Soulignons également qu’aucune étude ne démontre le lien entre la présence de ces clauses d’arbitrage et les investissements directs étrangers. Les investissements privés nécessaires dans les énergies renouvelables ne dépendent donc aucunement de la présence de clause d’arbitrage dans le TCE comme dans tout autre accord de commerce et d’investissement.

7. A travers cette clause d’arbitrage sur les investissements, le TCE a également un impact négatif majeur sur la démocratie puisqu’il est utilisé par les multinationales et les fonds d’investissements privés pour limiter fortement la marge de manœuvre politique des Etats. Sur ce point, la proposition de remplacer le système ISDS par une Cour permanente d’arbitrage n’empêche pas les entreprises de poursuivre les Etats pour avoir adopté une réglementation d’intérêt public.

Actuellement, le périmètre des négociations , qui débutent le 14 avril à Bruxelles pour « moderniser » le TCE, ne permet pas de remédier à ces 7 points .

De plus, la règle de l’unanimité est requise pour toute modification du traité. Or, le Japon a déjà annoncé qu’il s’opposerait à toute modification du système d’arbitrage. Ce qui pose notamment un problème de légalité pour l’UE et les Etats membres parties à ce traité puisque la Cour de justice de l’UE, dans son arrêt « Achmea » de 2018, a jugé que la clause ISDS pour régler les litiges intra-européens sur les investissements était contraire au droit de l’UE. Soulignons enfin que la Belgique n’est pas à l’abri de ces poursuites. Comme l’a déclaré la Ministre fédérale de l’énergie et du climat, Marie-Christine Marghem devant les député.e.s, « la Belgique, pour certains de ses choix en matière de politique visant à protéger l'environnement, pourrait se voir attaquer, devant des tribunaux d'arbitrage ».


Par conséquent, nous demandons :

1. la suppression immédiate de toutes les dispositions du TCE qui ouvrent la porte à tous les abus par les investisseurs privés du secteur énergétique dans leurs démarches contre les législations d’intérêt général, en particulier sociales et environnementales (les clauses de « traitement juste et équitable » et d’« expropriation indirecte » définies de manière beaucoup trop larges et vagues) ;

2. la suppression immédiate de la partie du TCE relative au règlement des différends entre investisseurs privés et États. Tout système d’arbitrage doit être public, se limiter au non-respect du traitement national convenu, être ouverte à tous les parties contractantes qui respectent les droits humains et offrir des garanties fortes en matière d’indépendance des arbitres ;

3. la suppression de la clause qui prévoit la poursuite pendant 20 ans de l’application des dispositions du TCE aux investissements liés à une partie contractante qui s’est retirée du traité ;

4. dans le cas où ces demandes ne sont pas rencontrées, d’envisager la sortie du TCE à l’issue du dernier cycle de négociation de 2020, tout en prenant en considération l’ensemble des effets d’une telle sortie (en particulier en matière d’approvisionnement et de prix de l’énergie, de maintien/création d’emploi de qualité sur l’ensemble des secteurs concernés) ;

5. la suspension de toute nouvelle adhésion au TCE dans sa forme actuelle.


 CEO, TNI, « One treaty to rule them all », p. 23, https://corporateeurope.org/sites/default/files/attachments/one_treaty_to_rule_them_all.pdf.
L’UE est notamment poursuivie par une filiale suisse du géant gazier russe Gazprom après avoir amendé sa directive européenne sur le gaz. https://www.euractiv.com/section/energy/news/nord-stream-2-seeks-arbitration-in-dispute-with-eu-commission/. L’UE est également poursuivie par une banque lettonne en raison d’une décision de la Banque centrale européenne (BCE) fixant un seuil de capitaux propres à atteindre par les banques privées. Cette décision aurait eu pour effet de mettre en péril les investissements de la banque requérante dans le secteur de l’énergie. https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2019/EN/COM-2019-597-F1-EN-MAIN-PART-1.PDF.
https://www.energychartertreaty.org/cases/list-of-cases/
Vattenfall AB, Vattenfall Europe AG, Vattenfall Europe Generation AG v. Federal Republic of Germany (ICSID Case No. ARB/09/6). For an analysis of the settlement see: Roda Verheyen (2012) Briefing Note: The Coal-fired Power Plant Hamburg-Moorburg, ICSID proceedings by Vattenfall under the Energy Charter Treaty and the result for environmental standards, 11 April.
AES Summit Generation Limited and AES-Tisza Erömü Kft. v. Republic of Hungary (II) (ICSID Case No. ARB/07/22); Electrabel S.A. v. The Republic of Hungary (ICSID Case No. ARB/07/19); EVN AG v. Republic of Bulgaria (ICSID Case No. ARB/13/17); ENERGO-PRO a.s. v. Republic of Bulgaria (ICSID Case No. ARB/15/19); ČEZ, a.s. v. Republic of Bulgaria (ICSID Case No. ARB/16/24.
https://stopisds.org/fr/
CEO, « L’ISDS mort-vivant », 2016, p. 14. https://corporateeurope.org/fr/international-trade/2016/09/lisds-mort-vivant
https://www.energycharter.org/fileadmin/DocumentsMedia/CCDECS/2018/CCDEC201818_-_STR_Modernisation_of_the_Energy_Charter_Treaty.pdf
Trois autre cycles de négociations se tiendront en 2020 : en juillet, octobre et décembre. Energy Charter Secretariat, « Decision of the Energy Charter Conference. Modernisation of the Energy Charter Treaty : Mandate, Procedural Issues and Timeline for Negotiations », 6 November 2019 https://www.energycharter.org/fileadmin/DocumentsMedia/CCDECS/2019/CCDEC201910.pdf
https://www.lachambre.be/doc/CCRI/html/55/ic087x.html
Cette « sunset clause » ou « clause de survie » renvoie à l’article 47 §3 du TCE.