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« En 20 ans de travail avec les victimes de guerre, de violence et de persécution politique, je n'ai jamais vu un groupe d'États démocratiques s'unir pour isoler, diaboliser et maltraiter délibérément un seul individu... »

image 0933244 20210505 ob bad9ad nils melzer 1Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture vient de publier un livre pour attirer l'attention sur le cas de Julian Assange.

Voilà ce qu’a écrit le rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, l’éminent juriste suisse Nils Melzer dans le rapport qu’il a présenté à l’ONU sur l’affaire Assange. Il vient de publier un livre à ce sujet « The Julian Assange case » aux éditions suisses Piper Verlag. On ignore s’il sera traduit en français. L’auteur a décidé de publier cet ouvrage pour alerter l’opinion publique sur ce qui peut être considéré comme la plus grande injustice à l’égard d’un journaliste, injustice à laquelle participent bien des pays occidentaux. Il montre aussi que les Etats-Unis ne pardonnent pas et s’obstinent à persécuter l’Australien emprisonné à Londres.

« L’affaire Assange est l’histoire d’un homme qui subit des tortures psychologiques pour avoir révélé au public, via la plateforme Wikileaks, les secrets les plus sombres des puissants, en révélant des crimes de guerre, des actes de torture et de corruption. C’est l’histoire de l’arbitraire extrêmement grave de la justice dans les démocraties occidentales, qui aiment par ailleurs se présenter comme des États modèles en matière de protection des droits de l’homme. »

Voici, décrite toute l’affaire Assange en quelques mots par Nils Melzer. Le drame est qu’alors que toutes les règles fondamentales ont été bafouées, il est impossible de mettre fin à cette persécution dont le journaliste australien est victime. Que lui reproche-t-on ? Tout simplement d’avoir eu le courage de faire son métier et de bien le faire en usant des technologies sophistiquées de l’information qu’il a apprises sur le tas. En réalité, ce n’est pas tellement cela qui lui est reproché par la plus grande puissance du monde actuel. Son crime est de l’avoir dérangée.

L’homme qui dérange « nous a compliqué la tâche ».

Si on se réfère à une conférence de presse donnée par Joe Biden alors vice-président des Etats-Unis sous la présidence de Barak Obama rapportée par le journal londonien « The Guardian » du 19 décembre 2010, on constate un acharnement des hautes autorités étatsuniennes à poursuivre et condamner Julian Assange.

image 0933244 20210505 ob 7f5baf joe biden appears on nbc 007Joes Biden, alors vice-président des Etats-Unis, donna une conférence de presse où il accusa durement Julian Assange.

Le vice-président américain, Joe Biden, a comparé aujourd'hui le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, à un "terroriste de haute technologie", la plus vive critique à ce jour de l'administration Obama.

Biden a affirmé qu'en fuyant des câbles diplomatiques, Assange avait mis des vies en danger et rendu plus difficile pour les États-Unis de mener leurs activités dans le monde entier.

Sa description d'Assange montre un niveau d'irritation qui contraste avec les commentaires plus optimistes d'autres personnalités de la Maison Blanche, qui ont déclaré que la fuite n'avait pas fait de graves dommages.

Interrogé sur Meet the Press de NBC, on a demandé à Biden si l'administration pouvait empêcher de nouvelles fuites, comme l'a averti Assange la semaine dernière. "Nous examinons cela en ce moment. Le ministère de la Justice examine cela", a déclaré Biden, sans donner plus de détails.

Lorsqu'on lui a demandé si ce qu'Assange avait fait était criminel, Biden a semblé suggérer que cela serait considéré comme criminel s'il pouvait être établi que le fondateur de WikiLeaks avait encouragé ou aidé Bradley Manning, l'analyste du renseignement américain soupçonné d'être à l'origine de la fuite. Biden a affirmé que c'était différent d'un journaliste recevant des informations divulguées.

"S'il a conspiré pour obtenir ces documents classifiés avec un membre de l'armée américaine, ce qui est fondamentalement différent de ce que quelqu'un tombe sur vos genoux ... vous êtes un journaliste, voici du matériel classifié."

Lorsqu'on lui a demandé s'il considérait Assange comme plus proche d'un terroriste de haute technologie que le lanceur d'alerte qui a publié les journaux du Pentagone dans les années 1970, qui révélaient le mensonge sur lequel était basée l'implication américaine au Vietnam, Biden a répondu : Je dirais qu'il est plus proche d’un terroriste de haute technologie que les journalistes du Pentagone.

Il nous a compliqué la tâche de mener nos affaires avec nos alliés et nos amis. Par exemple, lors de mes réunions - vous savez que je rencontre la plupart de ces dirigeants mondiaux - il y a maintenant un désir de me rencontrer seul, plutôt que d’avoir du personnel dans la chambre. Cela rend les choses plus encombrantes - donc cela a fait des dégâts. »

Il est cependant surprenant que la veille de cette conférence de presse, Biden avait déclaré à propos de WikiLeaks : « Je ne pense pas qu'il y ait de dommages substantiels. »

image 0933244 20210505 ob cf7b7c hillary clinton campagne 2016Est-ce Hillary Clinton, ici en campagne électorale avec son mari contre Trump, qui est la vraie responsable de l'acharnement des autorités US contre Julian Assange ?

Fin novembre, Hillary Clinton alors secrétaire d’État a durement critiqué les révélations de WikiLeaks fin novembre 2010 lorsqu'elle a accusé le site Web de monter une « attaque » sur le monde ! Aurait-elle fait pression sur Biden pour qu’il change d’avis et l’exprime le lendemain ? Ce serait une explication à cet acharnement tout à fait inédit de la part du gouvernement US à l’égard d’un journaliste. Il est vrai que WikiLeaks a publié de très gênantes révélations sur les fameux e-mails de l’ancienne Secrétaire d’Etat.

D’ailleurs, Nils Melzer, lui non plus, ne se fait aucune illusion :

« L’administration Biden ne voudra pas jouer avec la CIA et la NSA. Même sous le prix Nobel de la paix Barack Obama, les préoccupations de "sécurité nationale" avaient la plus haute priorité, les meurtres par drones ont été institutionnalisés et les lanceurs d’alerte ont été sévèrement punis, tandis que les criminels de guerre et les tortionnaires jouissaient de l’impunité. Rien ne changera sous Biden à cet égard. »

En outre, à propos de cet acharnement, Nils Melzer ajoute :

« … en tant que rapporteur spécial des Nations Unies, j’ai demandé à plusieurs reprises à tous les pays directement impliqués dans cette affaire - la Grande-Bretagne, la Suède, l’Équateur et les États-Unis - des éclaircissements et recommandé des mesures concrètes. Aucun des quatre gouvernements n’était prêt à engager un dialogue constructif. Pire encore, la persécution et les mauvais traitements infligés à Assange se sont intensifiés au cours de mon enquête. Les violations de ses droits procéduraux en Angleterre sont devenues plus évidentes et même mes appels publics aux autorités pour qu’ils respectent les droits de l’homme ont été ignorés. » Ainsi, les trois pays ont plié devant le diktat US.

Le Guantanamo britannique

Nils Melzer rappelle :

« Julian Assange a été accusé d’avoir violé deux femmes en Suède, mais les procès ont été abandonnés après neuf ans, faute de preuves. De 2012 à 2019, il était en asile à l’ambassade d’Équateur à Londres. Aujourd’hui, il attend - dans le "Guantánamo britannique", la tristement célèbre prison de haute sécurité de Belmarsh - une audience en appel devant la Haute Cour, qui décidera de son extradition vers les États-Unis. À quel moment de cette évolution peut-on parler de torture, selon vos connaissances ?

L’évolution déterminante a commencé en mai 2017, après le changement de gouvernement en faveur d’un président favorable aux États-Unis, à Quito. Désormais, le refuge initial de l’ambassade devenait un piège pour Assange. L’hospitalité originelle s’est transformée en un quotidien de plus en plus hostile, arbitrairement réglementé, sous la surveillance constante de caméras et de mouchards espions. L’accès des visiteurs bien intentionnés est devenu de plus en plus difficile et fastidieux, et ses possibilités de communication ont été restreintes, jusqu’à l’interdiction complète de son accès à Internet et de ses contacts sociaux après l’inculpation secrète par le grand jury américain en mars 2018.

image 0933244 20210505 ob beebf7 belmarsh prison 1La prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres, le Guantanamo britannique

L’isolement d’Assange était délibéré, intentionnel et coordonné. Son univers est devenu de plus en plus étroit, jusqu’à ce qu’il n’y ait pratiquement plus d’endroit où se retirer et qu’il soit complètement sans défense face à la poursuite de ces abus. Il s’agit d’une forme secrète d’abus, mais qui s’intensifie progressivement et de manière cumulative, très bien connue comme de l’intimidation et qui, à long terme, provoque de graves traumatismes. En fin de compte, on lui a retiré l’asile sans aucune procédure officielle, allant jusqu’à lui retirer son rasoir trois mois plus tôt afin qu’il paraisse délibérément pouilleux comme un sale gosse, lors de son arrestation par la police britannique - pour une violation relativement mineure des conditions de libération sous caution. »

On connaît la suite : le procès en extradition présidé par la juge Baraister qui a en l’occurrence confondu siège et ministère public. Ce fut un procès truqué indigne d’une nation démocratique comme le Royaume Uni (nous invitons nos lecteurs à se reporter sur les analyses de ce procès postées sur Uranopole – voir les URL en fin de document) qui déboucha sur un jugement pour le moins étonnant. Assange ne peut être extradé pour des raisons médicales arguant que les conditions dans lesquelles il serait incarcéré dans une prison étatsunienne de haute sécurité seraient trop dures.

Victoire donc pour les partisans du journaliste australien : Assange n’est pas extradé ! Eh bien, non ! Melzer ajoute :

« Dans la foulée, elle [la juge Baraitser] a balayé d’un revers de main toutes les autres objections juridiques ainsi que les rapports et témoignages à décharge de la défense. La procédure d’extradition engagée par les États-Unis n’est pas motivée par des raisons politiques, Assange est une menace pour la sécurité des États-Unis, etc. L’interdiction d’extradition pour des délits politiques dans le traité d’extradition anglo-américain : non applicable. La surveillance d’Assange à l’ambassade d’Équateur et la mise sur écoute de ses conversations avec son médecin et son avocat : non répréhensible. Les effets de la menace d’extradition sur la compagne d’Assange et leurs deux enfants : rien d’inhabituel. Et le travail d’Assange au sein de WikiLeaks, la publication de matériel explosif, n’était en aucun cas couvert par la liberté de la presse. Au contraire, il a activement soutenu Chelsea Manning dans l’obtention de documents secrets, et a ainsi dépassé de loin les limites du journalisme d’investigation. »

Les Etats-Unis et Assange ont fait appel de la décision du tribunal de 1ère instance britannique. On verra. En attendant, Assange a été reconduit à Belmarsh où il croupit en état d’isolement. Alors, que pourrait-il se passer ?

Assange aura tout le temps de mourir !

Selon Nils Melzer :

« Les États-Unis ne sont pas tant préoccupés par le fait de punir personnellement Assange que par l’effet dissuasif global pour les autres journalistes, publicistes et activistes. Une procédure longue et tortueuse les arrangerait bien. Alors peut-être que la Haute Cour britannique leur renverra à nouveau l’affaire en raison des nombreuses erreurs de la première instance. Et puis, dans quelques années, l’affaire ira devant la Cour suprême. »

Autrement dit, Julian Assange aura tout le temps de mourir dans sa prison pourrie de Belmarsh !

AssangeJulian Assange isolé dans la prison de Belmarsh aura tout le temps de mourir si on ne se moblise pas sérieusement.

En réalité, le jugement de Baraitser est très subtil. Il interdit l’extradition. C’était la principale revendication des militants de plus en plus nombreux en Grande Bretagne, en Europe et même aux Etats-Unis. Ainsi, le mouvement est dans une large mesure, démobilisé.

Un honteux silence

Le journaliste indépendant Vladimir Caller I Salas, ancien membre du Parti communiste belge dont il a été exclu, fait état dans un « papier » au site Le Grand Soir de la passivité de l’ensemble de journalistes mainstream :

« Il est donc désolant de devoir constater le silence criant de ses collègues journalistes et des partis politiques qui s’autoproclament démocrates, écolos, socialistes et progressistes et qui, face au crime en continu qui se déroule à Londres, optent pour la pusillanimité du silence. Car ce silence contribue, discrètement mais très efficacement, à faciliter l’ignominie qui se prépare. « Il y a des circonstances, disait Miguel de Unamuno face au général franquiste Millan Astray, dans lesquelles se taire c’est mentir ». Il y en a d’autres dans lesquelles se taire c’est cautionner. En l’occurrence, la condamnation à mort que l’on mijote contre Julian et sa parole. »

Il faut mobiliser !

L’affaire est-elle donc pliée ? On peut le penser. Pourtant, la lutte continue ! Nous ne pouvons baisser les bras. Il faut mobiliser. Il faut surtout faire prendre conscience, car la propagande – il n’y a pas d’autres mots – de la presse mainstream tente à endormir l’opinion sur le scandale de la persécution de Julian Assange.

Il faut prendre conscience de la catastrophe que présenterait une possible disparition d’Assange. Ce serait la fin de la liberté de la presse et de la liberté d’expression déjà attaquées de toutes parts !

Nom de Dieu ! Journalistes, intellectuels, travailleurs, militants de tous les pays, réveillez-vous !

Pierre Verhas

Source: https://uranopole.over-blog.com/2021/05/julian-assange-ou-la-persecution-permanente.html