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L’exclusion du PS d’Emir Kir, député-bourgmestre de Saint-Josse ten Noode (une commune de la Région de Bruxelles et aussi plus petite commune de Belgique), est un fait exceptionnel qui ne s’est plus produit depuis la Seconde guerre mondiale.

ob 3a32cd emir kir01L'exclusion du PS d'Emir Kir député-bourgmestre de Saint-Josse ten Noode, a déclenché un séisme au sein de la Fédération bruxelloise du PS.

Le motif est la réception officielle dans sa mairie d’une délégation de maire turcs parmi lesquels il y avait deux membres du MHP, parti d’extrême-droite proche de la milice fasciste « Les Loups gris ». En agissant ainsi, Kir rompait le « cordon sanitaire » avec l’extrême-droite. Ce n’est pas la première fois qu’on lui reproche des attitudes incompatibles avec l’éthique socialiste et démocratique. Ainsi, en 2018, il s’absenta le jour du vote à la Chambre d’une motion reconnaissant le génocide arménien de 1915. Lors des tensions entre Turcs et Kurdes dans sa commune, Kir a pris ouvertement parti pour les Turcs. La réception de la délégation turque a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Un échevin de Neupré dans la région de Liège avait été exclu quelques jours plus tôt pour avoir posté des propos racistes sur Facebook. On ne pouvait dès lors faire deux poids deux mesures avec le bourgmestre de St-Josse. Il est clair que Paul Magnette, le nouveau président du PS veut redorer l’image de son parti en traquant les responsables de scandales et les dérives de certains mandataires.

ob 561241 paul magnettePaul Magnette nouveau président national du PS a choisi une ligne dure face aux dérives politiques et aux scandales qui secouent le Parti socialiste.

Certains vont même – en coulisse – jusqu’à remettre en question l’opportunité de l’exclusion d’Emir Kir. Imaginons un instant qu’une délégation de l’association des maires de France composée entre autres des maires RN de Béziers et de Hénin-Beaumont soit reçue par un bourgmestre socialiste. Ce serait une levée de boucliers ! Et le bourgmestre en question serait exclu illico et forcé à la démission. Pourquoi, alors, tergiverser sur Emir Kir ?

Cela dit, les conséquences politiques de l’exclusion d’Emir Kir sont très importantes. Sur le plan communal, Emir Kir semble être solidement installé puisque malgré son exclusion, la section socialiste locale lui apporte son soutien. Son argument : Kir est un bon bourgmestre de gauche. C’est vrai, mais les responsables socialistes locaux ne tiennent aucun compte de son attitude politique qui a des conséquences désastreuses sur l’ensemble de la Région et même sur le pays. Sur le plan régional, le PS perd un bourgmestre et un député régional aussi d’origine turque qui a décidé de siéger comme indépendant. Il partage désormais la première place à la Région de Bruxelles-capitale ex-aequo avec Ecolo et risque même de se trouver à la deuxième place si un ou deux autres députés régionaux s’en vont. Cela impliquerait une redistribution des compétences au niveau du gouvernement régional et une perte d’influence pour les Socialistes bruxellois. Sur le plan de la représentation socialiste au niveau fédéral, les Socialistes bruxellois ont perdu un siège lors du scrutin du 26 mai 2019. Avec l’exclusion d’Emir Kir qui est aussi député fédéral, ils en perdent un deuxième. Il ne reste plus dès lors qu’un siège socialiste au fédéral qui est d’ailleurs occupé par Ahmed Laaouej, par ailleurs président de la Fédération bruxelloise du PS.

ob e6ed37 ahmed laaouejAhmed Laaouej nouveau président de la Fédération bruxelloise du PS, bourgmestre de Koekelberg reste le seul député fédéral socialiste de Bruxelles.

En clair, politiquement, les Socialistes ne sont pas débarrassés d’Emir Kir. Il se peut que la communauté turque de Bruxelles se détourne du PS, alors qu’avec Emir Kir, elle votait massivement pour lui – 18 540 voix de préférence aux dernières élections fédérales – et suivra ses instructions au moment voulu. D’autre part, cette exclusion a été un choc pour tous les militants. Elle risque de diviser la Fédération entre un bloc de « laïques blancs » et un bloc « méditerranéen » comprenant des militants maghrébins et turcs. Et c’est là le véritable danger !

ob 26163c onkelinxLaurette Onkelinx qui a succédé à feu Philippe Moureaux à la tête de la Fédération s'entendaient très bien.

Déjà, pudiquement, on évoquait des divergences de vue entre les sections socialistes dites du « Nord de Bruxelles » et les autres. L’affaire Kir a accentué ce phénomène. Le nouveau président de la Fédération, Ahmed Laaouej, qui a été élu avec seulement 52 % des voix contre Rachid Madrane, ancien ministre et actuel président du Parlement régional, cherche à faire la synthèse entre ces deux courants. Il a cependant été ferme sur l’attitude du bourgmestre de St-Josse et affirme qu’il ne tolérera plus aucune dérive. C’est la quadrature du cercle ! C’est déjà suffisamment évident : la Fédération est désormais divisée en deux blocs et pourrait éclater. Cela signifierait à terme la fin du PS dans la capitale de ce qu’il reste de la Belgique.

Cela pourrait être un cataclysme au-delà du Parti socialiste. « Laïques blancs » contre « Méditerranéens » signifie la « racialisation » du débat politique. C’est la porte ouverte aux extrémistes de tout bord qui s’engouffreraient dans ces « blocs ». La faute en revient aux prédécesseurs de Laaouej – feu Philippe Moureaux et Laurette Onkelinx et leurs mentors – qui ont ouvert, avec raison, les portes du Parti socialiste aux citoyens issus de l’immigration, surtout depuis l’adoption du droit de vote pour les étrangers non européens. Cependant, tous les deux ont fermé les yeux sur les dérives et n’ont rien fait pour assurer une intégration digne de ce nom. En voulant faire prendre « l’ascenseur social » aux allochtones, Moureaux a obtenu le résultat contraire. Sur le plan de l’éducation, on a créé les ZEP (Zones d’éducation prioritaires) qui ont été très mal gérées et qui n’ont pas disposé de suffisamment de moyens. Résultat : des écoles poubelles. On a construit des logements sociaux pour des familles nombreuses composées essentiellement de personnes issues de l’immigration. Résultat : des ghettos. On a mis aux responsabilités politiques des allochtones. Résultat : à quelques exceptions près, s’est développé un clientélisme qui a accentué le repli sur soi des différentes communautés. Pourtant, les émeutes de Cureghem – un quartier proche de la gare du Midi – en 1997 (il y a 23 ans !) auraient dû servir d’avertissement. Après quelques déclarations matamoresques, rien n’a été fait.

ob d3c3a9 meutes cureghemOn n'a pas tiré les leçons des émeutes de Cureghem en 1997 !

En plus, on aurait dû pourtant prendre en compte cette évidence : un Turc vote pour un Turc, un Marocain vote pour un Marocain, non par conviction politique, mais parce que le candidat est de « chez eux » et aussi pour avoir des avantages comme un logement ou un emploi. Cette tendance s’est accentuée avec la faculté de voter pour plusieurs candidats d’une même liste. Et puis, on a oublié un élément essentiel : la démocratie a mis deux siècles à se développer en Europe. Il y a au maximum trois ou quatre générations d’immigrés non européens qui entretiennent toujours des liens étroits avec leurs pays d’origine et qui en gardent les mœurs. Et puis, reconnaissons que notre « belle » démocratie est malade : les scandales de corruption, l’incapacité des politiques à relever les défis de notre temps, l’ultralibéralisme qui démolit toute forme d’action collective. Aussi, comment demander aux immigrés une adhésion sans faille à nos « grands » principes démocratiques ?

Et le plus grave : on n’a même pas essayé. On a pensé que cela viendrait spontanément. Et puis, on a même cru qu’ils représentaient un électorat malléable. Cela n’a évidemment pas été le cas. Les électeurs et les politiques socialistes issus de l’immigration n’adhèrent pas, pour la plupart, aux principes socialistes. Ils votent et agissent selon leurs intérêts et ceux de leurs communautés respectives. Cependant, il y a des exceptions comme Rachid Madrane qui adhère ouvertement à la laïcité et au socialisme, mais qui a été mis à l’écart par sordides calculs politiciens après les élections du 26 mai 2019. Il fut pourtant un excellent ministre de la protection de la jeunesse. Il a réussi à faire avancer ce dossier difficile et en « récompense », on l’a casé au perchoir du parlement bruxellois. Il est donc isolé. Et après, on s’étonne qu’il ait pris fait et cause pour Emir Kir ! Ahmed Laaouej est aussi un socialiste sincère et un grand spécialiste des finances publiques, mais son influence est limitée et en voulant absolument faire la synthèse entre les deux « blocs », il se retrouve dans l’ambiguïté. Aussi, son autorité en tant que président de la Fédération élu de justesse est limitée.

ob b16b60 rachid madraneRachid Madrane a été écarté alors qu'il fut un excellent ministre.

Si l’éclatement se produit, c’est le scénario catastrophe ! Il signifie non seulement la fin du mouvement socialiste à Bruxelles, l’affaiblissement de la gauche – le PTB n’en profitera pas, car il a aussi ses ambiguïtés en la matière – et les ingrédients d’un conflit « communautaire » sont rassemblés. Et on peut compter sur les fanatiques des deux bords pour lier la sauce.

Voilà donc la perspective d’un conflit majeur qui s’ajoute à la crise politique inextricable en Belgique. Les perspectives ne sont guère réjouissantes. Et hormis l’un ou l’autre politique, on ne voit personne à même de prendre le taureau par les cornes. C’est pourtant l’avenir de notre société qui est en cause. Une synthèse est-elle encore possible ? Dans l’état actuel des choses, on en doute. Le gouffre entre les deux blocs est trop profond et il sera très difficile de le combler.

Entre « communautarisme » - à propos, quelle est la définition de ce mot ? – et « socialisme », faudra-t-il choisir ? Il est à craindre que oui !

Pierre Verhas