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8 mars 2022

Ukraine : deux poids deux mesures (II)

Dans cette guerre atroce où les bombardements détruisent des villes entières, jettent sur les routes des millions d’Ukrainiens, où les principales victimes sont les femmes, les enfants, les vieillards, on a tendance en Europe à ne désigner qu’un coupable : Vladimir Poutine.

Le maître du Kremlin a attaqué l’Ukraine avec un brutalité inouïe, cela en violant la Charte des Nations Unies et le droit international. Cela est indiscutable. Cependant, le Président russe est-il le seul responsable de ces tensions entre Moscou et Kiev qui ont mené à l’offensive déclenchée le 24 février dernier ? Est-il aussi le premier à avoir sciemment piétiné les règles internationales ?

 

Vladimir Poutine est-il le seul responsable de cette guerre ?

Toute guerre, on le sait, engendre dans l’un et l’autre camp la propagande, la désinformation, les « fake news », ce qui rend très difficile toute analyse objective.

Le droit international n’est pas le même pour tous.

Premier point : la question du droit. Si l’action de Poutine relève d’infractions graves au droit international, condamnables ainsi par la Cour Pénale Internationale, il est clair que depuis la chute de l’URSS, d’autres crimes du genre ont été commis depuis longtemps par les Américains et les Européens. Cité par la journaliste australienne Caitlin Johnstone, un de ses compatriotes, le lanceur d’alerte David Mc Bride expose :

« On m’a demandé si je pensais que l’invasion de l’Ukraine était illégale.
Ma réponse est la suivante : si nous ne demandons pas des comptes à nos propres dirigeants, nous ne pouvons pas demander des comptes aux autres dirigeants. Si la loi n’est pas appliquée de manière cohérente, ce n’est pas la loi. C’est simplement une excuse que nous utilisons pour cibler nos ennemis. Nous paierons un lourd tribut à notre arrogance de 2003 à l’avenir. Nous n’avons pas seulement omis de punir Bush et Blair : nous les avons récompensés. Nous les avons réélus. Nous les avons adoubés. Si vous voulez voir Poutine sous son vrai jour, imaginez-le atterrir en avion à réaction et ensuite déclarer ’Mission accomplie’
 »

Cela n’est pas nouveau : Thucydide, l’historien grec de la guerre du Péloponnèse écrivait :

« La justice n’entre en ligne de compte dans le raisonnement des hommes que si les forces sont égales de part et d’autre ; dans le cas contraire, les forts exercent leur pouvoir et les faibles doivent leur céder. »

Comme le commente Caitlin Johnstone dans « le Grand Soir » : « Le droit international est un concept vide de sens lorsqu’il ne s’applique qu’aux personnes que l’alliance de puissance américaine n’aime pas. Ce point est renforcé par la vie de McBride lui-même, dont le propre gouvernement a réagi à sa publication d’informations occultées sur les crimes de guerre commis par les forces australiennes en Afghanistan en l’inculpant comme criminel. »

Notons que David Mc Bride est une sorte de Julian Assange bis, parce qu’il est poursuivi pour sa dénonciation des crimes de guerre commis par l’armée australienne en Afghanistan, en publiant des documents classifiés.

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George W Bush et Tony Blair ont, eux, commis un crime de guerre en envahissant illégalement l’Irak en 2003 en avançant le prétexte des « armes de destruction massive ». Ils n’ont pas été poursuivis et sont au contraire adulés. Or, en envahissant l’Ukraine en 2022, Poutine commet le même crime qui est largement dénoncé par les dirigeants occidentaux, le président US en tête. C’est à nouveau le « deux poids deux mesures ». Caitlin Johnstone ajoute :

 

Tony Blair, premier ministre de Grande Bretagne et George W Bush, président US ont tous deux déclenché la guerre illégale contre l'Irak en 2003.

« Ni George W Bush ni Tony Blair ne sont dans les cellules de la prison de La Haye où selon le droit international ils devraient se trouver. Bush peint toujours depuis le confort de sa maison, émettant des proclamations comparant Poutine à Hitler et présentant des arguments en faveur d’un plus grand interventionnisme en Ukraine. Blair, quant à lui, continue de faire son bellicisme en déclarant que l’OTAN ne devrait pas exclure d’attaquer directement les forces russes, ce qui équivaut à un appel à une guerre mondiale thermonucléaire. » N’oublions pas non plus l’actuel président étatsunien, Joe Biden, qui ne cesse de jeter de l’huile sur le feu en traitant Poutine de « criminel de guerre » ou de « boucher » au point que Macron et quelques autres se sentent contraints de calmer le jeu !

Dans tout ce dramatique imbroglio, on peut légitimement se poser la question : le droit international est-il une réalité ou un vœu pieux ?

Le système mondial est-il obsolète ?

Dans un texte récemment rédigé par Madame Monique Chemillier-Gendreau, juriste française et professeur émérite de droit public et de sciences politiques à l’Université Paris-Diderot plaide pour une réforme fondamentale du système des relations internationales.

 

Monique Chemillier- Gendreau éminente juriste française pense qu'il faut réformer en profondeur les institutions internationales.

« Le choc créé par la guerre de la Russie contre l’Ukraine sert de révélateur au caractère obsolète du système mondial. Elle donne aussi à voir la crise des systèmes politiques nationaux dominants, qu’il s’agisse de ceux dits démocratiques ou de ceux qui s’affichent comme autocratiques. Analyser la situation dans toutes ses dimensions, pointer les reniements de valeurs qu’elle révèle et esquisser un autre modèle de société internationale, telles sont les exigences du moment. »

Elle dresse un constat sans complaisance :

« La guerre en Ukraine succède en réalité à deux autres séquences et se cumulant tragiquement avec elles, elle acte l’impuissance définitive des Nations Unies. La crise écologique est perceptible depuis des années. Et la crise sanitaire ouverte il y a deux ans, a confirmé l’insuffisance des solutions nationales. Il a été clair à l’occasion de ces crises que la société internationale ne disposait pas des institutions et des outils capables d’affronter ces menaces. L’instrument juridique qui domine le droit international et qui est le traité est inadapté à des avancées efficaces. Étant de la nature du contrat, il est de portée relative. Son contenu ne s’impose qu’à ceux qui y ont adhéré et pas aux autres. On a un droit à géométrie variable alors que la situation requiert des normes à portée universelle. »

L’impuissance des Nations Unies

Madame Chemillier-Gendreau rappelle que l’ONU a été fondée dans l’esprit du multilatéralisme.

« L’idée centrale avait été en 1945 de mettre en place un mécanisme de nature à jouer le rôle de tiers impartial et cela, à l’échelle universelle. Au lieu d’être réglés de manière bilatérale sur la base des rapports de force, les différends devaient l’être dans une enceinte publique et sous l’autorité d’un organe disposant de moyens adaptés à trouver une issue aux conflits. Le premier de ces moyens était dans l’interdiction faite aux États de recourir à la force. Mais toutefois, si se produisait une rupture de la paix, le Conseil de sécurité, chargé de qualifier la situation et de prendre les mesures adaptées, devait jouer le rôle de tiers impartial. »

On sait très bien ce qu’il se passe avec le Conseil de sécurité qui, au contraire, se place dans le bilatéralisme avec le statut des membres permanents, c’est-à-dire les cinq vainqueurs de 1945 : Etats-Unis, URSS puis Russie, Chine, Royaume Uni et France. Le droit de véto interdit donc tout débat, tout accord négocié. Cela rend caduque la Charte des Nations Unies qui dispose de l’interdiction de l’usage de la force dans les conflits entre nations.

 

Le siège de l'ONU à New York : une institution sans réelle influence

La juriste rappelle les principes fondateurs de l’ONU, principes qui n’ont jamais été respectés.

« L’ONU avait été créée (…) pour être un tiers objectif mandaté par toute la communauté internationale pour intervenir dans les conflits et les régler en ramenant la paix. Pour fonder sa légitimité la Charte affirmait le principe d’égalité des États entre eux, espérance d’une sorte de démocratie mondiale. Et le régime juridique alors esquissé était un régime à vocation universelle. Il ne s’agissait pas d’une alliance entre quelques pays pour sauvegarder leurs intérêts propres, mais d’un nouveau système de sécurité collective destiné à protéger les peuples du monde entier d’un retour de la guerre. Le but était donc bien de mettre en place des procédures de nature à arbitrer les disputes entre États, quelque soient ces États. »

Le rôle ambigu de l’OTAN

 Il y a un autre aspect qui est mis en avant par Madame Chemillier-Gendreau, c’est le rôle de l’OTAN. Rappelons que lors de la crise en Libye en 2017 qui vit la chute de Khadafi, l’ONU avait fait appel à l’OTAN. Or, comme elle l’explique :

« Car il n’est pas possible d’effacer la nature originelle de l’OTAN. Il s’agit d’une alliance militaire entre les Etats-Unis et l’Europe occidentale, conçue comme un instrument de défense collective orienté à faire face à ce qui était perçu comme la menace militaire soviétique. Comme toutes les alliances, elle est le signe d’un clivage entre ceux qui en font partie et les autres. La chute du mur de Berlin en 1989 aurait dû entraîner sa disparition. Elle s’est au contraire étendue à des pays de l’ancien bloc socialiste, même s’il fut promis aux Russes en 1990 que les forces de l’OTAN ne stationneraient pas dans les Länder allemands de l’ancienne Allemagne de l’Est. Il y eut un court moment où il fut question d’une coopération étroite avec la Russie. Ce fut en 1997 avec l’Acte fondateur OTAN-Russie signé entre les dirigeants des pays de l’OTAN et Boris Elstine. Il ouvrait la voie à une coopération entre la Russie et l’OTAN qui commença à se concrétiser au début des années 2000. Mais la crise ouverte par l’intervention russe en Géorgie en 2008 a marqué un coup d’arrêt. Et l’OTAN reste ce qu’elle est, une alliance restreinte à certains États appartenant à un camp, destinée à la défense militaire de ce camp et ne pouvant en aucun cas agir au nom de l’ensemble de la communauté mondiale. »

 

Joe Biden à l'OTAN : l'instrument de domination des Etats-Unis en Europe.

La guerre en Ukraine marque la fin de la domination occidentale.

Enfin, la guerre en Ukraine est un révélateur, car elle met en avant la division du monde.

« La guerre en Ukraine ne permet plus de s’aveugler. Les votes intervenus à l’occasion de la Résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 1er mars 2022 montrent que 5 États ont voté contre et 35 se sont abstenus. Comptant de très grands pays comme la Chine et l’Inde, le groupe de ceux qui ont refusé de condamner expressément la Russie correspond à plus de la moitié des habitants de la planète. Et pourtant, la cause ukrainienne est juste car la Russie s’est livrée à une agression caractérisée et les appuis fournis à l’Ukraine dont les habitants meurent sous les bombes russes, sont indispensables, et pour le moment insuffisants. Cela nous oblige à une analyse aussi juste que possible de la situation. »

Cela démontre que la domination occidentale est fondamentalement remise en cause. La Russie de Poutine qui n’hésite plus à défier les occidentaux, la Chine qui remet en question le leadership commercial des occidentaux – la fameuse mondialisation néolibérale – avec la route de la soie, l’Arabie Saoudite et les Emirats qui songent à vendre leurs hydrocarbures non plus en dollars, mais en yuan, bon nombre de pays africains se détournent des Européens pour regarder vers la Russie et la Chine, le Mexique et les pays d’Amérique centrale et du Sud tournent le dos aux Etats-Unis. Comme le note Madame Chemillier-Gendreau, tous ces pays représentent plus de la moitié de la population mondiale.

Un autre monde se construit. Il est temps, si on veut préserver le multilatéralisme, c’est-à-dire dans la mesure du possible, la paix et la liberté dans le monde de revoir fondamentalement les institutions internationales et de les adapter au monde à venir sans blocs dominants.

Laissons la conclusion à l’éminente juriste : « Pour contrer la domination et ouvrir la voie à une démocratie internationale, c’est-à-dire à la garantie que le système protège les plus faibles contre les forts, il faut ouvrir la page d’une autre approche des groupes humains, débarrassée de la concurrence sur la souveraineté et sur l’homogénéité des sociétés. Les outils conceptuels pour cela ont été développés par bien des penseurs. Ils se nomment le pluralisme juridique, la possibilité d’appartenances multiples, le respect d’un droit commun, avec des possibilités d’application en prenant en compte la marge nationale d’appréciation. Alors, à partir de valeurs communes actées dans des textes de liaison, les applications sur le terrain se font en fonction des cultures singulières. Nous ne partons pas de rien à cet égard. La jurisprudence de certaines juridictions comme la Cour européenne des droits de l’homme ou la Cour interaméricaine des droits de l’homme sont des expériences positives. »

Cependant, cela n’est réalisable qu’à l’échelle mondiale, cette utopie nécessite un gigantesque rassemblement des forces diverses sur cette Terre.

Un autre monde est possible, disent les altermondialistes. Oui, si tout-le-monde s’y met sérieusement. Il n’est plus temps de rêver, mais d’agir.

Pierre Verhas